Philippines : dix ans après la guerre de Duterte contre la drogue, les familles en quête de justice

En 2016, Rodrigo Duterte accède à la présidence des Philippines avec la promesse de se débarrasser des consommateurs de shabu - une drogue à base de métamphétamines - du pays. Lors de ses meetings, il promet de : "remplir les morgues", comparant même son action à celle d’Hitler... Une politique d’exécutions extrajudiciaires massives commence à semer la terreur dans les quartiers pauvres de l’archipel. 

Dans la banlieue de Manille, la capitale, Llore Pasco, 70 ans, raconte avoir perdu ses deux fils, Crisanto et Juan Carlos, pendant les massacres orchestrés par Duterte. Tous deux avaient pourtant arrêté de consommer du shabu depuis un an, lorsqu’ils se sont présentés à la police pour se déclarer comme anciens usagers. Quelques semaines plus tard, ils ont été retrouvés criblés de balles, accusés d’avoir commis un cambriolage. Pour justifier leurs interventions, les forces de l’ordre n’hésitaient pas à placer des armes ou des sachets de drogue près des corps de victimes. Après la mort de ses fils, Llore a rejoint une association catholique qui a travaillé avec des avocats et qui coopère aujourd’hui avec la Cour pénale internationale.

Durant ces années de terreur, la justice aux Philippines n’a été d’aucune aide et les congrégations catholiques ont pris le relais. À Manille, une autre église de la capitale a supervisé plus d’une centaine d’exhumations. Dans de nombreux cas, les causes de décès officielles – "arrêt cardiaque" ou "mort naturelle" – ont pu être reclassées après une nouvelle l'autopsie des médecins légistes. 

L’opposition muselée

La guerre de Duterte a aussi laissé derrière elle des milliers d’orphelins. Selon Amnesty International, ils seraient au moins 20 000 jeunes à avoir perdu au moins un de leurs parents. Joan s’apprêtait à fêter ses dix ans quand son père a été abattu. Après la mort de son père, elle affirme que sa mère, qui a dû élever seule ses sept enfants, était moins présente. Sa sœur s’est mariée très jeune, elle est tombée enceinte à seulement seize ans, selon elle à cause du manque de cadre parental.

Les victimes ne sont pas les seules à avoir été visées. L’ancienne sénatrice Leila de Lima, aujourd’hui députée, a été l’une des cibles de l’ancien président. Au début de la guerre anti-drogue de Duterte, elle avait conduit une enquête parlementaire sur ces exécutions extra-judiciaires. Elle a été emprisonnée pendant sept années sur la base d’accusations de trafic de drogue montées de toutes pièces par son opposant. "Ce qu’on m’a fait relevait d’une vengeance personnelle et politique", affirme-t-elle aujourd’hui.

Rodrigo Duterte, qui s’est plusieurs fois vanté d’avoir "tué des trafiquants de ses propres mains", a quitté le pouvoir en 2022. En mars dernier, il a été arrêté et remis à la Cour pénale internationale, poursuivi pour meurtre, torture et crimes contre l’humanité.

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"Ceux qui sont au pouvoir n’ont pas le droit de prendre la vie de citoyens ordinaires", martèle Rubylin Litao, coordinatrice de l’ONG Rise Up for Life and for Rights. Pour les familles, ce procès symbolise l’espoir d’un tournant : mettre fin à l’impunité et obtenir, enfin, justice.