«Vous avez voulu faire les malins, c’est réussi» : travaux d’intérêt général requis contre l’étudiant qui a mâché à mort une souris
C’est jour de rentrée des classes ce jour-là au prestigieux lycée Thiers de Marseille pour les élèves de classe préparatoire scientifique. L’alcool coule à flots sur les plages du Prado en ce mois de septembre 2023. Elsa C. est là, avec sa souris domestiquée qu’elle transporte partout dans sa banane. Soudain, un camarade de classe se saisit de l’animal. Devant les enquêteurs, Elsa C. raconte que Lucas B. aurait clamé : «Je vais la manger, filmez-moi.» Elsa demande à la récupérer. Cédric V. sort son téléphone pour immortaliser la scène. «Vas-y frérot !» «Mange-la», encourage Léo A., un autre camarade.
Des rires et des hurlements entourent Lucas B., qui commence à mastiquer l’animal. Le silence se fait. La souris tombe de sa mâchoire, mais Lucas B. la gobe de nouveau, pour la mâcher jusqu’à ce qu’elle meure. Lucas B. affiche ensuite un grand sourire à la fin de la scène. Selon Cédric V., Elsa C. est de son côté dévastée. Elle organise un enterrement pour sa souris décédée dans ces circonstances sordides.
Un an plus tard, Lucas B. comparaît pour sévices graves ou actes de cruauté envers un animal domestique. Elsa C. ne s’est pas constituée partie civile. Mais une quinzaine d’associations de défense des droits des animaux réclamaient justice ce vendredi devant le tribunal correctionnel de Marseille. L’affaire a pris en effet une autre dimension dès lors que la vidéo de Cédric V. a été publiée sur les réseaux sociaux par son camarade, Léo A..
Amnésie
D’abord diffusée en privé sur Instagram, la scène est tombée entre les mains de la fondation 30 millions d’amis qui a décidé de médiatiser l’affaire. «Quelle horreur ! C’est vraiment ragoûtant, plaide Me Isabelle Terrin, avocate de deux associations de défense de la cause animale. On a l’impression d’être revenu au temps des cavernes !» «Cette petite souris a souffert le martyre», abonde Me Maryse Bierna pour l’association Action protection animale.
Tout ceci, Lucas B. ne s’en souvient pas. D’une voix frêle, agrippé à la barre, le jeune homme propret le confesse devant le tribunal correctionnel de Marseille ce vendredi. L’alcool qu’il a consommé en forte quantité a emporté presque tous ses souvenirs de cette soirée-là. Lucas B. présente alors un taux de 1,75 mg par litre d’air expiré. «Ça ne me ressemble pas du tout», explique-t-il du haut de ses vingt ans. «Je le regrette énormément.»
«J’espère que Monsieur ne mange trop souvent de souris, tacle la procureur de la République. J’ai dans l’idée que, quand on mange une souris, on s’en souvient.» Marie-Aude Fichet s’agace sèchement : «La souris n’a pas survécu, mais ce n’est pas grave, tant qu’on fait le buzz ! Vous avez voulu faire les malins ? C’est réussi ! La prochaine fois, on fait quoi ? On embroche un chat ? On prend le vôtre ?» Lucas B. fait non de la tête.
Mauvais réflexe
À ses côtés, Cédric V. se fige. La justice estime qu’en filmant son camarade, le jeune homme de 20 ans est complice des faits, tout comme Léo A. qui a diffusé la vidéo sur Instagram. Élève dans une école d’ingénieur, Cédric V. reconnaît avoir eu «un mauvais réflexe» en filmant son camarade, mais il rappelle qu’il a supprimé la vidéo de son téléphone, dès le lendemain, prenant conscience de la violence des faits. Absent de l’audience car en pleine période d’examen dans une autre grande école d’ingénieur française, Léo A. évoque lui aussi un «mauvais réflexe».
Cédric V. ne formule qu’une demande au tribunal : ne pas voir les faits être inscrit sur son casier judiciaire, au risque de voir son avenir professionnel compromis. Une requête balayée d’un revers de main par Marie-Aude Fichet pour l’ensemble des prévenus. «Vous voulez être contrôleur aérien, Monsieur V. ? Vous n’avez même pas empêché votre copain de mâcher une souris ! Les contrôleurs aériens sont censés avoir un peu de sang-froid !» La procureur requiert jusqu’à 105 heures de travaux d’intérêt général pour les étudiants.
«Je ne sais pas où nous sommes, s’étrangle l’avocat de Léo A., Me Jérôme Pouillaude. On a requis des choses qu’on ne requiert pas devant une cour d’assises. Quelques étages plus bas de ce tribunal, des femmes ont été tabassées et les choses se passent en total catimini. Ici, nous avons une souris qui a été mangée !» Il plaide la relaxe. «Si la souffrance est animale, l’erreur, elle, est purement humaine», supplie l’avocat de Cédric V., Me Jérémy Dahan. «Et dans cette affaire, l’effet de groupe a forcément un impact», plaide l’avocat du principal prévenu, Me Céline Dangauthier. Elle réclame le versement d’un euro symbolique par association, alors que ces dernières ont demandé le versement de près de 40.000 euros. La décision sera rendue le 10 janvier prochain.