L’artiste Guillaume Bresson, conteur contemporain

G uillaume Bresson, boucles de chérubin et âme profonde. Son univers caravagesque projette le monde le plus contemporain des banlieues, leurs codes où prime le masculin, et leur violence ritualisée dans les règles les plus classiques de la peinture avec perspective et ligne de fuite. La rétrospective que lui offrent jusqu’au 25 mai les salles d’Afrique au château de Versailles est «à la fois un exploit, un grand stress et un bonheur».

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C’est la toute première rétrospective de ce Toulousain, né en 1982 et installé à New York depuis 2016. Voire sa première exposition solo dans un musée ou même dans un centre d’art. «Une grande surprise, nous dit-il, de sa voix bien plus douce que sa peinture. Elle est arrivée il y a seulement six mois, il a fallu imaginer tout très vite, la scénographie de l’exposition, le choix des 35 tableaux - de ma première scène d’émeutes, en 2002, à aujourd’hui -, le montage, lui-même si complexe, de l’éclairage à la signalétique, en passant par les textes affichés dans les salles pour créer un rapport direct avec le public. Ce fut un travail intense avec les équipes du château.» Et de souligner: «J’ai vécu le désert de la peinture figurative. Elle est de nouveau regardée, mais je suis encore de la génération qui a été bannie des musées et des Frac (Fonds régional d’art contemporain, NDLR) et dont l’œuvre peinte a été peu montrée.»

La plupart des œuvres de Versailles viennent de collections privées, hormis trois d’entre elles, ainsi que le grand tableau noir de la Fondation Louis Vuitton, tableau vertical «très parisien», fait en 2019 avec les jeunes du lycée François-Villon, à la porte de Vanves, et exposé dans la dernière salle, la plus sombre.

Sans titre, huile sur toile, 150 x 339 cm, 2020-2022. ADAGP, Paris 2024, crédit photo: Bertrand Huet / Tutti image Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia Paris/Brussels
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Sans titre, huile sur toile, 170 x 225 cm, 2010-2012. Bertrand Huet / tutti image Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia Paris/Brussels

«Je n’ai pas dû peindre plus de 40 grands formats en tout, et ils sont presque tous à Versailles. Jusqu’à ma première exposition à Berlin, en 2008, il n’y avait pas d’ordinateur, de projecteur, d’outil numérique, je peignais à partir de photographies imprimées, je travaillais à la main en découpant des calques», raconte l’artiste entre passé et présent, entre le maître du XVIIe Nicolas Poussin et les séances photo dans l’atelier où il met en scène ses modèles, le plus souvent des hommes en jean et tee-shirt, survêtement et baskets, dans une chorégraphie très étudiée aux accents baroques. «Mes tableaux sont intimes. Ce sont mes amis de jeunesse, mes compagnes au fil du temps, ma famille, très souvent mon père, qui a été un grand sportif et comprend tout du mouvement, parfois des jeunes rencontrés pour un projet, comme la commande du Red Star FC en 2016 ou lors d’une résidence à Los Angeles en 2020. Il a fallu leur expliquer ce qu’était la peinture d’histoire, comment utiliser le langage corporel pour raconter une histoire sans paroles. Au cours d’un premier atelier, on travaille sur les mouvements du corps, je les pousse jusqu’au moment où il se dégage quelque chose de personnel et de spontané, qui n’est pas dirigé par moi. Je me contente alors de le capter en prenant des photos. Ensuite, ce répertoire donne des compositions qui serviront à faire des tableaux. Je ne cherche pas à reproduire un tableau de musée, mais la peinture d’histoire est si présente dans ma tête que certaines postures de mes modèles doivent me plaire pour cette raison inconsciente…»

Sans titre, huile sur toile, 148 x 410 cm, 2020-2022. ADAGP, Paris 2024, crédit photo : Sebastiano Pellion di Persano Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia Paris/Brussels

L’art ne lui est pas venu comme un long fleuve tranquille. «J’ai commencé par le graffiti parce que c’était la mode dans les années 1990 et que la culture du hip-hop explosait en France, nous explique-t-il avec feu. Mon premier rapport au dessin et à la couleur est passé par les lettres que j’allais peindre sur les murs à Toulouse, le lettrage et la calligraphie. Parfois dans les rues de la ville où c’était interdit. Du coup, j’ai été arrêté plusieurs fois, j’ai vu la différence de traitement entre moi et mes compagnons de banlieue, ce choc du racisme social est en moi. Mes parents m’ont alors poussé sur la voie plus académique du dessin. C’était avant le street art au musée, il n’y avait pas de débouchés en vue. La communauté du graff était d’autant plus forte qu’elle n’était pas institutionnalisée ni commercialisée. Elle était à 99 % masculine, que de la passion, des sorties nocturnes illégales… ce que je représente dans mes tableaux.»

Et pourtant, ses grands formats si maîtrisés sont composés dans les règles de la peinture classique, d’où leur nombre restreint et le rythme plus raisonné de sa production à l’heure de la bad painting, immédiate et souvent en désordre, en vogue sur le marché de l’art contemporain.

Sans titre, huile sur toile, 96,2 cm de diamètre, 2024. Simon Cherry Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia Paris/Brussels

«J’ai découvert le Louvre en arrivant à Paris, se souvient Guillaume Bresson, je n’avais aucune culture de l’art. Je l’ai adoré. Mon premier choc, en toute naïveté culturelle, a été Le Radeau de la Méduse. J’ai aussi beaucoup copié les sculptures (Michel-Ange, Jean-Baptiste Carpeaux, Pierre Puget, mais aussi les bas-reliefs) pour m’entraîner à représenter le corps - mon obsession, ma ligne directrice. Je regardais Géricault comme Martin Barré, sans faire de hiérarchie. Je ne voyais que la peinture, je voulais comprendre comment c’était fabriqué. Je me sentais beaucoup plus à l’aise parmi les touristes du Louvre qu’au palais de Tokyo, dont je ne partageais ni les codes ni l’univers. Aux Beaux-Arts, j’ai rencontré beaucoup de réticence devant mes sujets et mon goût de la peinture d’histoire. On ne nous apprenait pas comment mettre en scène une foule de personnages dans un même tableau, avec une même lumière, en perspective…»

Et d’ajouter: «J’ai travaillé quatre ans tout seul dans un petit studio, porte de Versailles. Ce rejet m’a finalement permis d’être libre. J’ai appris en copiant les maîtres et en lisant les correspondances de peintres, Matisse, Poussin qui expliquent pourquoi mettre tous les pieds des personnages dans le même plan. J’ai appris au fil de mes lectures à poser des grilles de perspective dans mes tableaux, à quelle distance faire poser un modèle avec les points de distance et de fuite. Le plan du sol est essentiel, c’est là où les personnages touchent le décor, c’est le point de tension. Je lisais, puis j’allais au Louvre pour vérifier. Par exemple, La Mort de Saphire, de Poussin, un modèle de la construction centrale et linéaire.»

Ce timide est volubile sur sa passion de peintre. Le choix de la grisaille vient de ses lectures en noir et blanc. «J’étais déçu lorsque je voyais les tableaux en vrai, je trouvais que la couleur ôtait la force de la composition. La lumière circule dans le tableau, il y a des endroits sombres, des endroits clairs, des endroits intermédiaires. Et le regard est guidé par cette lumière.» Guillaume Bresson a une fraîcheur de jeune romantique et une conviction de solitaire qui fit longtemps de lui un marginal. Un concentré d’authenticité.

«Guillaume Bresson», jusqu’au 25 mai au château de Versailles. À lire: «Guillaume Bresson. Peintures», Éditions Flammarion, «Monographies», 60 €.