Mort de Brigitte Marger, première directrice de la Cité de la musique

Avec Brigitte Marger, nous perdons un des derniers témoins, et plus encore une des dernières actrices de la modernisation de la vie musicale française engagée par Pierre Boulez à partir des années 1970. Cette femme élégante et discrète, qui ne se mettait jamais en avant, fut la première directrice de la Cité de la musique. Elle est partie le mardi 3 décembre.

Nommée dès 1992 pour en assurer la préfiguration, elle la mit sur les rails à partir de son inauguration en 1995 et resta cinq ans à sa tête, avant de passer le relais à Laurent Bayle. Une Cité certes « unijambiste », selon le mot de Boulez, car privée alors du grand auditorium initialement prévu, et qui n’ouvrirait que vingt ans plus tard sous le nom de Philharmonie. Mais une Cité répondant parfaitement à sa vocation : attirer des publics divers dans le quartier excentré de la Villette, dans un lieu de service public ouvert toute la journée en proposant une offre musicale diverse et sachant divertir autant qu’instruire.

Cette normalienne, agrégée d’anglais, n’enseigna pas longtemps, préférant rejoindre l’action culturelle dépendant des Affaires étrangères. Conseillère culturelle à Londres en 1967, c’est là qu’elle fit la connaissance de Pierre Boulez, pour qui elle organisa un concert à l’Institut français, et dont elle gagna rapidement la confiance. Lorsqu’il lui annonça que le président Pompidou l’avait chargé de fonder un institut de recherche musicale à Paris, la conversation fut brève : « Voulez-vous que je travaille pour vous ? », « Oui ». C’est ainsi que, dès 1973, elle fut responsable des relations publiques et de la communication de l’IRCAM, chargée de faire connaître cette structure inédite. Pendant les longues absences de Boulez, absorbé par sa carrière de chef, elle assura la continuité pendant la gestation, puis fut à l’origine de la fameuse conférence de presse de lancement de mars 1974, ainsi que d’un grand nombre de manifestations et publications.

Défis

L’étape suivante est la création de l’Ensemble Intercontemporain. Considérant sa tâche à l’IRCAM comme accomplie, Boulez demande à Brigitte Marger de devenir administratrice générale de l’EIC en 1982, succédant à Catherine Tasca. Il est vrai que, quelques années plus tôt, elle avait fait partie du petit groupe de quatre personnes qui, au petit-déjeuner dans la maison de Boulez à Baden-Baden, avait trouvé le nom «Intercontemporain ». Elle y reste jusqu’à ce que lui soit confiée la mission d’ouvrir la Cité de la musique. Elle se lance malgré l’impression d’être envoyée « au casse-pipe », et doit faire preuve de beaucoup d’indépendance pour relever les défis : les anti-bouléziens lui reprochent d’être inféodée au maître, et Boulez revendique la priorité pour l’Ensemble Intercontemporain à la Cité, alors qu’elle doit assurer une programmation équilibrée entre classique, contemporain, jazz, chanson, musiques du monde. Elle y parvient grâce aux qualités qu’on lui a toujours connues : courtoisie, diplomatie, et l’abnégation de quelqu’un qui a toujours fait passer l’institution et sa mission avant sa propre personne.