Notre critique du Système Victoria : le film passe son tour
Directeur des travaux, on dit ça comme ça. En bon français, David (Damien Bonnard) doit superviser la construction d’une tour à la Défense. Il n’est pas architecte. Visiblement, son drame est là. Ses supérieurs le lui reprochent assez. Ceux-là ! Le promoteur est odieux. Il emploie un ton de dictateur. David ne se laisse pas marcher sur les pieds. Il a d’autres soucis en tête.
C’est l’anniversaire de sa fille. Il a prévu de lui offrir une panthère noire en peluche. Par chance, le magasin de jouets est encore ouvert. Cela lui permettra de tomber sur une mystérieuse inconnue à la voix de velours. Dans le film de Sylvain Desclous tiré du roman d’Éric Reinhardt, Le Système Victoria, les DRH se rencontrent dans les centres commerciaux, à l’heure de la fermeture (dans le livre, elles fréquentent les bowlings de banlieue). Victoria (Jeanne Balibar) lui donne sa carte de visite. Elle habite Bruxelles. Il la reverra.
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Ils se retrouvent dans des chambres d’hôtel. Elle prend des bains moussants. Il essaie de la toiser. Qu’est-ce que c’est que ce boulot au service des multinationales ? Elle sourit avec pitié. Le pauvre, il n’est pas de taille. Une coupe de champagne, et adieu les leçons de révolte. Vite, au lit ! Les peaux se frottent. Elle lui conseille d’accepter de finir le gratte-ciel, quelles que soient les conditions. On comprend par là qu’elle représente « les puissants » (le terme revient plusieurs fois dans les dialogues). D’accord, il mettra les bouchées doubles, pressera ses équipes comme des citrons. Du reste, ils ne seront pas payés. Ils acceptent. Vraiment, le capitalisme est trop cruel. Le nigaud ne se doute de rien. Il est baba de serrer dans ses bras cette femme fatale. Et ces Koweïtiens qui lui proposent 300.000 euros pour saboter le chantier à moitié, ils arrivent à point nommé, tiens.
Démon de midi
Ne dévoilons pas la suite. Le spectateur le plus obtus l’aura devinée. Osera-t-on l’écrire ? La dame est toxique. Revoilà la bonne vieille lutte des classes, le bon gars face à la perverse narcissique (c’est fou ce qu’on abuse des termes à la mode dans cet article : bientôt, l’auteur se convertira à l’écriture inclusive). Il est brut de décoffrage ; elle est sophistiquée. Il est mal dégrossi, empêtré dans ses problèmes. Elle est cynique, enjôleuse. Elle l’emmène dans un club échangiste. Il néglige sa gamine en garde alternée. Elle a un mari (Éric Reinhardt lui-même, auteur du livre), un amant (François Busnel, en rupture de « Grande Librairie »).
Au moins, grâce à elle, il améliore sa garde-robe. Des états d’âme ne tardent pas à l’assaillir. Leur relation ne mène à rien. Il la rappelle. Cela sent les pots-de-vin. Une bonne odeur de corruption monte aux narines. Il y a beaucoup de miroirs, censés montrer les incertitudes du personnage. Damien Bonnard joue de façon assez fébrile et convaincante les victimes surmenées du démon de midi. Jeanne Balibar continue à incarner avec un plaisir non dissimulé les Delphine Seyrig brunes. Les deux peinent à rendre passionnante cette plongée dans les dessous du BTP dont la chute - c’est le cas de le dire - est téléphonée. Après l’original et stimulant De grandes espérances, ce Système Victoria déçoit.