Notre critique de La Réparation, cuisine et défaillance
Sous les frondaisons verdoyantes d’une forêt bretonne, deux amants se cherchent, se trouvent et s’enlacent fougueusement. Dès l’ouverture de La Réparation, Régis Wargnier s’amuse à brouiller les pistes temporelles et narratives en plongeant le spectateur au cœur d’une ardente passion romanesque, à l’origine du drame à venir.
Essoufflée, heureuse, vêtue d’une robe de princesse froissée, Clara (Julia de Nunez), la fille du chef étoilé Paskal Jankovski (Clovis Cornillac, sombre et habité), rentre avec des petites étoiles dans les yeux. Évidemment, elles n’ont rien à voir avec celle que convoite son père, rendu un rien nerveux par l’attente de la proclamation du Guide Michelin, qui pourrait bien attribuer une troisième étoile au Moulin, le restaurant dont il dirige la cuisine avec une belle créativité.
Alors que celui que l’on surnomme « Janko » rêve de transmettre à sa fille chérie tout son héritage gastronomique, du haut de ses 20 ans la jeune Clara, au seuil de l’émancipation, prévoit, elle, de tout quitter pour filer le parfait amour avec Antoine (Julien De Saint-Jean), le second de son père en cuisine. Quand il apprend la nouvelle, l’ombrageux Polonais a du mal à se contenir. Il convie sa brigade à une partie de chasse en forêt… Et disparaît soudainement avec son second. Clara affronte seule la meute des médias qui l’assaillent de questions. Une chape de mystère s’abat subitement sur cette jeune héritière, obligée de parer au plus pressé sans pouvoir faire le deuil des deux hommes qu’elle aime, dont elle ignore ce qu’ils sont devenus.
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Des saveurs énigmatiques
Deux ans plus tard, Clara reçoit une intrigante invitation. Elle est priée de participer au prestigieux Salon de la gastronomie de Taïwan. Sur place, elle découvre que certaines spécialités développées par son père se retrouvent étrangement mises au goût du jour par un cuisinier de l’île. Elle croise également la route d’un critique gastronomique (Louis-Do de Lencquesaing, épatant) qui lui aussi a reconnu la « patte » et les saveurs énigmatiques du célèbre cuisinier volatilisé.
Onze ans après Le Temps des aveux, Régis Wargnier est de retour aux fourneaux. Bien lui en a pris. Son nouveau film explore toujours avec bonheur les liens étroits et insaisissables qui unissent l’Orient et l’Occident, une thématique qu’il affectionne depuis toujours. Comme le dit Clovis Cornillac à sa brigade : « Il y a deux règles en cuisine, l’inspiration et l’audace. » Le réalisateur d’Indochine - Oscar du meilleur film étranger en 1993 - n’a pas attendu que son héros prononce ce précepte pour se l’appliquer à lui-même.
Entre thriller psychologique, conte de fées onirique et quête de soi, La Réparation ausculte tout autant l’univers de la gastronomie que la manière dont un enfant tente de faire un deuil impossible ou de gérer un pesant héritage familial. Pour Clara, les doutes obsédants et le vertige de l’absence de son père restent un mystère permanent, une absence omniprésente. Cette fois, la quête de la vérité passera par les saveurs safranées de l’Orient, car les goûts portent la mémoire des choses et des gens.
Découverte dans la série Bardot, diffusée en 2023, Julia de Nunez crève l’écran par l’intensité de son jeu et de son regard. Lumineuse, fervente et passionnée, l’actrice, à qui on promet une belle carrière, porte le film sur ses épaules. À la poursuite du fantôme de son père, dont le génie culinaire a réapparu sur la carte du monde de manière inexplicable, son personnage cavale sans perdre espoir. C’est peut-être cela que l’on appelle la « réparation »…
La note du Figaro : 3/4