Euro 2025 : la double vie de Clara Mateo, meilleure buteuse du championnat de France et salariée dans une grande entreprise
"Clara Mateo ? C'est une des dernières dinosaures." La description est glissée dans un large sourire par Sabrina Viguier, entraîneure adjointe des Bleues et ancienne internationale (93 sélections). L'Aveyronnaise fait référence à la double vie de Clara Mateo, la meilleure joueuse de Première Ligue Arkema 2024-2025 : footballeuse professionnelle au Paris FC d'un côté, business developper chez Arkema de l'autre. Ce mercredi 9 juillet, elle portera le maillot de l'équipe de France face au pays de Galles (en direct à 21 heures sur France 2 et france.tv).
"Aujourd'hui, c'est plus difficile d'être performante et de travailler à côté, car il y a beaucoup plus de matchs et de sollicitations", prolonge Sabrina Viguier, professeur de sport pendant quatre ans en parallèle de sa carrière de défenseure au tournant des années 2000, avant de passer professionnelle. Clara Mateo fait figure d'exception dans le groupe des 23 Bleues engagées à l'Euro en Suisse. Alors que la professionnalisation des footballeuses continue de progresser, elle est la seule à mener une carrière en entreprise à côté de celle de sportive de haut niveau, crampons aux pieds.
Télétravail et horaires réduits
L'ingénieure spécialiste des matériaux chez Arkema (sponsor titre de la première division du championnat féminin français) démarche et conseille des clients du chimiste français sur le choix de matières premières, dans le secteur du sport, des loisirs et du luxe. Un emploi à horaires réduits pour lui permettre de gérer ses entraînements sur le terrain et en dehors (récupération, soin, alimentation).
"Ils savent très bien qu'à l'heure actuelle, ma priorité c'est le foot. C'est vraiment plus un pari sur l'avenir. Une fois que j'aurais arrêté ma carrière sportive, je pourrais me consacrer à 100% à Arkema."
Clara Mateo, attaquante en équipe de Franceà franceinfo: sport
Au quotidien, l'attaquante de 27 ans avance sur ses dossiers depuis son domicile. Lors des rassemblements en équipe de France ou en déplacements, elle glisse toujours son ordinateur dans la valise pour garder un œil sur ses mails et conserver un lien avec ses collègues. Si elle utilise les trajets ou les temps de repos pour travailler, la priorité est d'abord donnée à la récupération. "Je peux garder ce fil rouge car il y a des moments dans une saison où c'est un peu plus calme. Et tant que c'est clair avec l'entreprise, il n'y a pas de problème."
Un "cerveau échauffé" avant l'entraînement
Clara Mateo a toujours eu en tête de valider un diplôme. Et une fois celui-ci obtenu, la joueuse du Paris FC a réalisé qu'elle avait suffisamment de temps en dehors des pelouses pour rejoindre une entreprise à temps partiel. "J'aime bien avoir l'esprit aussi occupé la journée, voir autre chose, plutôt que d'attendre l'entraînement. Cela me permet aussi d'avoir le cerveau échauffé et de prendre des décisions plus rapidement après sur le terrain", assure l'ingénieure, soutenue dans son projet par son club qui compte dans ses rangs plusieurs joueuses à la même double vie.
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Sa coach est d'ailleurs convaincue des bénéfices d'un tel choix. "C'est une gymnastique d'esprit : plus vous entraînez votre esprit à réfléchir et prendre des décisions dans l'urgence, plus vous êtes capable de prendre des décisions en peu de temps, avec la contrainte de l'adversaire tout en pensant que vous avez des partenaires", image Sandrine Soubeyrand, entraîneure du Paris FC, qui pointe aussi le vase communicant entre la confiance gagnée en emploi qui rejaillit sur la joueuse. "Avant la sportive, il y a une personne avec des émotions, des sensibilités, de l'incertitude", rappelle-t-elle.
Un gain de sérénité
Dans une discipline où les rémunérations des joueuses sont incomparablement plus faibles que celles de leurs homologues masculins, un CDI classique assure une forme de sérénité à Clara Mateo. "Le fait d'avoir passé mes diplômes, c'est un poids en moins pour moi. Je sais que je n'arriverais pas à être aussi performante si je ne savais pas ce que je ferai plus tard, confie la meilleure buteuse du championnat, avec 18 réalisations cette saison. Et là, j'ai aussi la chance d'avoir trouvé une entreprise. Je peux me projeter sur ce que je peux être amenée à faire une fois que j'aurais raccroché les crampons."
"Son projet n'est pas du tout rédhibitoire pour jouer à haut niveau. Moi, j'attends juste qu'elle soit 100% engagée quand elle arrive au club. Vous pouvez bien travailler deux à trois heures dans la journée sans que cela atteigne votre récupération."
Sandrine Soubeyrand, entraîneure du Paris FCà franceinfo: sport
Le sélectionneur des Bleues Laurent Bonadei partage un même regard bienveillant sur la particularité de sa joueuse : "Avoir un travail, ou bien loisir par exemple, permet de sortir d'un contexte footballistique, avec les matchs et la pression du public, qui peut être pesant." Profondément affectée par sa non-sélection aux Jeux olympiques de Paris, elle, la Nantaise qui rêvait de jouer à la Beaujoire, Clara Mateo a trouvé du réconfort auprès de son emploi. "Comme je ne suis pas allée aux JO, j'ai pu aller à un séminaire avec Arkema, illustre la joueuse. Cela m'a permis de rebondir plus facilement, de relativiser, de me dire qu'il y a d'autres choses que le foot."
Organisation et anticipation
Pour assumer cette double ambition, une condition s'impose : la capacité d'organisation. "Clara, dans sa personnalité, c'est quelqu'un qui anticipe beaucoup et qui est très organisée. Cela fait partie de ses forces, donc pour elle, le double projet n'est pas une contrainte", éclaire Théa Gréboval, coéquipière en club et amie de l'internationale. "Quand elle a des projets professionnels à mener ou des déplacements liés à son travail, elle s'arrange toujours pour que cela tombe un jour où il n'y a pas d'entraînement. Cela n'a absolument aucun impact sur sa pratique", complète la coach Sandrine Soubeyrand.
Remplaçante face à l'Angleterre samedi, Clara Mateo est entrée sur le terrain à la 60e minute et a participé à l'exploit français (victoire 2-1). Un succès précieux pour espérer voir les quarts de finale de l'Euro le 17 ou 19 juillet. Sans arrière-pensées, les salariés d'Arkema espèrent d'ailleurs bien retrouver au travail leur collègue le plus tard possible.