Ennemi de Merkel, élève exécrable, pro-Ukraine... Qui est Friedrich Merz, favori au poste de chancelier en Allemagne ?
Alors que le camp social-démocrate d’Olaf Scholz accuse un retard de dix points sur son adversaire de la CDU dans les sondages, c’est bien la formation de Friedrich Merz qui devrait arriver en tête des législatives ce dimanche. S’il devient chancelier, il devra probablement s’atteler à la formation d’une coalition avec les autres partis, sans doute le SPD et les Verts. Tâche d’autant plus complexe que sa décision récente de faire passer une motion parlementaire sur l’immigration, à l’aide des suffrages du parti AfD, a crispé ses futurs partenaires potentiels. Caractérisé par une ligne bien plus droitière que celle d’Angela Merkel, Merz reste un ardent défenseur du «Brandmauer» («mur coupe-feu») symboliquement dressé entre les partis traditionnels et l’extrême droite allemande.
Un enfant dissipé, un père emprisonné dans un camp soviétique, une sœur décédée dans un accident
Friedrich Merz a grandi dans le village de Brilon, situé entre Dortmund et Kassel, dans la campagne de Rhénanie du Nord-Westphalie, en Allemagne de l’Ouest. Il descend, par sa mère Paula, d’une famille de huguenots français. Son grand-père maternel, Josef Paul Sauvigny qui était maire de Brilon, rejoint le parti nazi en 1933, six mois après l’accession d’Adolf Hitler à la chancellerie. Son père Joachim quant à lui, est enrôlé dans la Wehrmacht à l’âge de 17 ans, puis emprisonné pendant quatre ans en Géorgie soviétique. Après la Seconde guerre mondiale, Joachim devient juge dans la zone d’occupation américaine avant de diriger plusieurs procès nazis. Friedrich Merz, né en 1955, est le plus âgé d’une fratrie de quatre, élevée selon des valeurs conservatrices et catholiques par Paula, mère au foyer. Lors d’un récent duel télévisé organisé par les journaux Die Welt et Bild, Merz a évoqué deux tragédies familiales «qui résonnent encore en lui» : la mort de sa sœur à 21 ans dans un accident de voiture et celle d’un frère, atteint d’une sclérose en plaques, avant son 50e anniversaire.
Un indiscipliné ayant surmonté l’ostracisation d’Angela Merkel pendant vingt ans
Membre de la CDU depuis cinquante ans, cela fait aussi vingt ans que Friderich Merz convoite la chancellerie. Il se présente en 2000 à la présidence de la CDU pour succéder à son mentor, Wolfgang Schäuble mais se fait ravir la place par une Allemande de l’Est, à la coupe au carré et l’allure modeste. Deux ans plus tard, Angela Merkel, qui le considère rapidement comme un rival de taille - il mesure 1,98m - l’évince de la présidence du groupe parlementaire CDU/CSU au Bundestag. Sans cesse marginalisé par celle qui devient chancelière à l’issue des élections fédérales de 2005, Friedrich Merz décide de rejoindre le secteur privé, essentiellement «pour gagner de l’argent», selon ses biographes. Il rejoint un cabinet d’avocats d’affaires de Düsseldorf, avant de siéger au conseil d’administration de la prestigieuse Commerzbank ou d’une entreprise de papier hygiénique. Il dirige aussi un temps la succursale allemande de Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde. Cette expérience du «Big Business» est rare chez les politiciens allemands. Multimillionnaire, Friedrich Merz était pourtant un élève d’un piètre niveau, habitué à faire des blagues potaches à ses camarades et professeurs. Il a redoublé au lycée et a été renvoyé pour des raisons disciplinaires. Selon Jutta Falke-Ischinger et Daniel Goffart, qui ont publié en 2022 Der Unbeugsame («L’inflexible», Langenmüller Verlag), son père comptait faire de lui un maçon.
Une position très ferme sur le volet migratoire
En octobre 2018, quelques minutes après l’annonce par Angela Merkel de son retrait de la présidence de la CDU, Friedrich Merz déclare sa candidature. Il échoue une première fois face à Annegret Kramp-Karrenbauer et une seconde face à Armin Laschet en 2020. La troisième est la bonne : en 2022, il décroche le poste et compte bien marquer sa différence avec l’aile centriste du parti. Sur la question des flux migratoires, dont la gestion a tant été reprochée à Angela Merkel, Merz revendique une approche ferme et répressive. D’autant plus depuis la récente vague d’attentats qui a choqué l’opinion. Il plaide en faveur de la déclaration d’état urgence qui permettrait à l’Allemagne de surseoir à la législation européenne et d’organiser un refoulement des migrants aux frontières nationales. Il se dit favorable à une externalisation des demandes d’asile. Connu pour ses déclarations chocs, pas toujours contrôlées, il avait qualifié de «petits pachas» les enfants d’immigrés qui sèment la terreur à l’école. Ouvertement hostile à la notion «multikulti» (en référence à la «société multiculturelle») célébrée dans les années 2010, Merz promet de préserver la Leitkultur («culture dominante allemande»). Bien qu’il incarne une ligne très droitière, il marque une distance nette avec l’AfD qu’il qualifie de «honte pour l’Allemagne», tout en refusant de serrer la main de ses élus.
La paix, on peut la trouver dans n’importe quel cimetière. C’est notre liberté que nous devons défendre
Friedrich Merz, candidat de la CDU aux élections fédérales
Une politique étrangère offensive, sans aucune concession faite à la Russie
Quand Olaf Scholz se présente comme «un chancelier de la paix» pour justifier un certain attentisme sur le plan international, Friderich Merz répond vertement : «La paix, on peut la trouver dans n’importe quel cimetière. C’est notre liberté que nous devons défendre.» Sa défense de l’Ukraine est sans ambiguïté : pour Merz, Berlin doit menacer de livrer des missiles de longue portée Taurus à Kiev si Moscou ne cesse pas ses attaques contre les infrastructures civiles. Un pas qu’a absolument refusé de franchir Olaf Scholz depuis un an estimant qu’on «ne joue pas à la roulette russe avec la sécurité de l’Allemagne». Par ailleurs, Friedrich Merz assume son appartenance au camp occidental et devrait tenter de maintenir des liens ténus avec les États-Unis. Contrairement à Angela Merkel qui voyait les affaires étrangères sous le prisme des intérêts commerciaux - notamment avec la Chine et la Russie - Merz propose un retour à la Westbindung («ancrage à l’Ouest»), ADN de la CDU depuis Konrad Adenauer.
Baisse de la fiscalité et de la protection sociale et soutien à la filière nucléaire abandonnée par Merkel
Alors que l’Allemagne entre dans sa troisième année de récession, le futur chancelier sera tenu de relever la situation économique de son pays. Celui qui n’a pas hésité à dénoncer «les incessants louvoiements de la coalition sortante qui a conduit le pays dans l’impasse», n’aura pas le droit à l’erreur. Il prône une vision ordolibérale typiquement allemande: l’État doit garantir, par des règles strictes, une concurrence libre et non faussée. L’auteur de l’ouvrage «Oser plus de capitalisme : les voies d’une société juste» publié en 2008, vante une libéralisation économique et une réduction de la protection sociale. Il dénonce une bureaucratie paralysante et une fiscalité trop élevée. Sur le plan énergétique, le candidat a qualifié la sortie de l’Allemagne du nucléaire de «grave erreur stratégique». Dans son programme, la CDU suggère le développement de réacteurs de petite taille et de quatrième génération.