«Le terrain est devenu mouvant» : un gendarme décoré pour le sauvetage d’un jeune homme en pleine avalanche
Il y a de ceux que la montagne fait vibrer. Son air pur, son ciel bleu, sa neige blanche… Et ses avalanches. Amyot Tripard en fait partie, quitte à risquer sa vie. Lundi 17 février, le Haut-Savoyard sera mis à l’honneur. Comme chaque année - en souvenir de la naissance de la force armée, un 16 février -, la gendarmerie célèbre ses héros, morts et vivants. Cette année, l’adjudant-chef fait partie des heureux élus : il sera décoré à Lyon, à l’occasion d’une cérémonie célébrant l’acte de bravoure du sauveteur, réalisé le 30 juillet 2023.
Ce jour-là, le militaire du PGHM - Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne - part en mission. Il est 12h15, la DZ [drop zone, lieu de départ des secours] reçoit l’alerte : « on nous annonce un dévissage [chute, NDLR] sur la voie normale du Mont-Blanc, vers l’abri Vallot », débute Amyot. Le refuge est haut et les conditions météorologiques, particulières : « il venait d’y avoir un épisode hivernal avec des chutes de neige très basses, vers 2500 mètres ». L’adjudant-chef connaît la montagne : il faut s’en méfier.
«Le moindre départ est stimulant»
Fils d’un guide de haute montagne, le gendarme a grandi les pieds sur des skis. Pourtant, le milieu alpin n’a pas toujours sonné comme une évidence. « C’est même un peu l’inverse », insiste-t-il. Par contradiction familiale peut-être, Amyot foule d’abord les couloirs d’une école d’ingénieur, avant d’être « rattrapé par le milieu » dans lequel il a grandi. Finies les sciences, pour le Haut-Savoyard. L’appel de l’altitude est trop puissant.
Si guide ne l’intéresse pas, « trop répétitif », il se prend de passion pour le secourisme en montagne. L’imprévu du métier et le don de soi plaisent à Amyot, qui apprécie « mettre ses compétences au service des autres ». En 2006, il réussit le concours d’entrée dans la gendarmerie, et intègre le PGHM de Chamonix l’année suivante. C’est ici qu’il fait ses gammes. Le jeune secouriste vit ses premières missions, friand d’adrénaline. « Au début, le moindre départ est stimulant et source de satisfaction », analyse-t-il. En 2013, l’adjudant-chef change de cap, direction le Centre National d’Instruction de Ski et d’Alpinisme de la Gendarmerie : « j’ai passé six ans au CNISAG comme formateur dans le milieu de la montagne ». Six ans plus tard, Amyot est armé : il est de retour au PGHM de Chamonix, douce terre d’enfance.
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«Prendre en compte les risques autour de nous»
Le 30 juillet, Amyot et un camarade prennent dans l’hélicoptère, faiblesse de l’adjudant-chef : « en période de vents compliqués, on ne sait pas trop les risques que prend le pilote », explique-t-il. « Être témoin non-actif, à l’arrière de l’appareil, ce n’est pas si facile ». À 12h33, les sauveteurs posent un pied sur le glacier, «là où je suis dans mon élément». Le bleu du ciel contraste avec la neige étincelante, qui s’étale à perte de vue.
Sur place, son expérience est un atout, son observation, capitale : « il faut prendre en compte la victime, mais aussi les risques autour de nous ». Un terrain trop accidenté, des vents violents… . Rapidité ou mise en sécurité ? Prioriser est essentiel, comme le prouve cette journée de juillet : « Sur les lieux, j’identifie tout de suite trois risques » : la présence d’un sérac – bloc de glace formé par l’accumulation de neige –, des potentielles crevasses, et des risques d’avalanches, causés par les pratiquants, qui longent la crête. Dans ce contexte, Amyot est lucide : « en plus de la victime, une attention doit être portée sur les dangers extérieurs ».
Les premières recherches sont vaines : « on voit un sac, un vêtement, mais rien d’autre ». Une telle chute peut être fatale : « est-ce que la victime était consciente, ou en état grave ? ». L’état physique du pratiquant est toujours incertain. Chaque année, une cinquantaine de décès sont rapportés sur le Massif du Mont-Blanc. « Il m’est arrivé de voir des victimes ’’partir’’ entre nos mains », confie le Haut-Savoyard. « Face à un traumatisme crânien ou un saignement interne, on ne peut pas faire grand-chose ». Heureusement pour les deux sauveteurs, un mouvement de bras les alerte sur le lieu de la victime.
Un sang-froid redoutable
À partir de là, tout est bref : un premier pieu – point d’assurage – posé, une prise de contact avec le jeune homme… Et le scénario redouté se produit. « Le terrain est devenu mouvant ». Amyot jette un œil à la montagne, et remarque une cassure de deux mètres. « Là, je me suis dit que c’était très gros ». Muni de son éternel sang-froid – son arme la plus redoutable -, il envoie trois messages radio et, quand la neige arrive, le sauveteur essaie de rester à la surface : « une fois que la neige est figée, tout se soude et on ne peut plus bouger ». Un réflexe salvateur, puisqu’il parvient ensuite à s’extirper de l’épaisse couche de neige, à l’instar de son collègue, qui apparaît quelques instants plus tard.
Un râle sous la neige les alerte de la localisation de la victime, à proximité des secouristes. À deux, ils parviennent à le dégager, avec un objectif en tête : « amener la victime à l’hôpital ». Le jeune étudiant est presque inconscient.
Accepter la part d’imprévu
Un an et demi plus tard, Amyot a ressassé l’accident. Réitéré le scénario, considéré les hypothèses. Imaginer ce type d’avalanche n’était pas possible pour lui : « une chute de 350 mètres qui ne déclenche pas d’avalanche… Il n’y avait pas de raison que nous la déclenchions simplement en nous déplaçant ». Mais accepter la part d’aléatoire fait partie du métier. C’est ce qu’Amyot retiendra de cet accident : « les dangers sont les mêmes, et nous n’avons pas de moyens de parer à ce type de risque ».
Cette médaille, Amyot la savoure. S’il considère une part « médiatique » à cette récompense, le sauveteur s’en réjouit tout de même : « Ça montre qu’on prend des risques et qu’on sauve des vies ». Lundi, leur bravoure sera donc mise à l’honneur. Une reconnaissance pour l’ensemble des sauveteurs, engagés dans un métier risqué, mais ô combien passionnant.