Rien ne va plus au pays des petits Mickey ! Et la querelle ne date pas d’hier. La personnalité controversée de Franck Bondoux, délégué général de la société 9eArt+, qui gère le festival de BD d’Angoulême depuis 2007, apporte son lot de polémiques depuis des années à chaque nouvelle édition de la manifestation. Cette année, c’est une enquête de L’Humanité dimanche , publiée en janvier dernier, qui a mis le feu aux poudres.
Outre une gestion financière qualifiée « d’opaque » ainsi qu’une dérive marketing de la manifestation, l’article évoque un management agressif émaillé de burn out et surtout le cas d’un licenciement d’une employée un mois et demi après avoir dénoncé un viol, qu’elle affirme avoir subi lors du festival en 2024. L’affaire de trop.
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Passer la publicitéFace à la colère sourde de la profession, Bondoux s’est retiré de la manifestation sur la pointe des pieds pour apaiser les esprits, en juillet dernier. L’association historique a dû dénoncer le contrat qui la liait à la société 9eArt+. Celui-ci devait prendre fin en 2027, mais la scène BD redoutait une reconduction tacite de la société. Après un appel d’offres lancé en mai dernier, le FIBD, présidé par Delphine Groux doit annoncer le candidat remportant le saint graal, samedi 8 novembre. Après étude des dossiers, le festival a retenu deux postulants, parmi lesquels la Cité de la BD et la société 9eArt+, selon les informations de La Charente Libre . Dans un contexte sulfureux, le maintien de la structure de Franck Bondoux dans la dernière ligne droite a de quoi échauffer les esprits. Un rappel des faits s’impose.
Quand l’article de L’Humanité Dimanche paraît quelques jours avant la cérémonie d’ouverture de la 51e édition, le 23 janvier dernier, le landernau du 9e art est en émoi. La profession découvre l’histoire de cette ex-employée licenciée peu de temps après avoir dénoncé un viol à sa direction. Rien à voir avec les polémiques habituelles. L’article parle d’un licenciement pour faute grave. 9e art + invoque un « comportement incompatible avec l’image de l’entreprise ». La salariée saisit les prud’hommes pour contester son renvoi qu’elle estime « consécutif à la dénonciation du viol (...) et à son arrêt de travail postérieur suite à la visite de la médecine du travail», selon la requête, consultée par l’AFP. Malgré les réfutations de Franck Bondoux, le monde de la BD ne décolère pas. Et l’affaire dépasse les frontières angoumoisines pour atterrir sur le bureau du ministère de la Culture. Ce dernier exprime alors sa profonde inquiétude sur les dysfonctionnements managériaux de l’entreprise, « particulièrement interpellé » par le cas de la salariée.
Tourner la page
Éditeurs, auteurs et collectivités locales se dressent de concert pour inciter l’association fondatrice du festival à tourner la page Franck Bondoux, après 18 ans. Et la crise de gouvernance n’en finit pas, émaillée de nombreuses péripéties. En avril dernier, la société 9eArt+ ambitionne de fusionner avec le FIBD. «Il s’agit d’un projet de rapprochement dans laquelle l’Association conserverait la propriété de l’événement et aurait la possibilité de sortir de cette structure. Et nous conserverions la gestion de cet actif qui ne nous appartient pas et ne nous appartiendra jamais», précise alors Franck Bondoux. Soutien indéfectible du délégué général, Delphine Groux déclare dans la Charente Libre que cette piste sera «poussée jusqu’au bout» et n’envisage pas, à ce moment-là, d’appel d’offres pour mettre en concurrence d’autres projets.
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Un «coup d’État feutré» «qui donnerait les pleins pouvoirs» au directeur général de 9eArt+, dénonce alors Libération, qui a révélé le projet. «Des fantasmes», se défend l’intéressé, affirmant avoir informé «depuis des mois» les partenaires publics du projet qui financent le festival à hauteur de 45% ».
Quoi qu’il en soit, ce projet attire les foudres de la profession qui brandit sérieusement la menace du boycott. Une pétition lancée par les collectifs d’auteurs, le Syndicat des travailleurs et travailleuses, artistes auteurs et autrices et #MetooBD a recueilli plus de 2200 signatures pour enrayer ce dessein. Luz, fauve d’or 2025 avec Deux filles nues, Anouk Ricard, Art Spiegelman, Chris Ware, Catherine Meurisse, pour ne citer que ces grands noms de la bande dessinée, figurent parmi les centaines d’artistes décidés à briller par leur absence lors de la prochaine édition si la fusion aboutit.
Passer la publicité«Appel biaisé»
« Depuis plusieurs mois, nous, professionnel.les de la bande dessinée, auteur.ices et autres travailleur.euses du milieu, interpellons l’Association du FIBD d’Angoulême sur la nocivité du contrat qui la lie avec la société 9e Art+, depuis près de vingt ans, spécifie le texte accompagnant une pétition appelant au boycott (nous avons conservé l’écriture inclusive employée par le communiqué, NDLR). Face à « l’aveuglement » et « au mépris affiché à l’égard de nos interpellations répétées », écrivent les artistes, la colère est montée d’un cran. La crise est néanmoins temporairement apaisée par l’annonce, le 16 mai, d’un processus d’appel d’offres pour attribuer l’organisation de la manifestation. Entretemps Franck Bondoux annonce sa démission, sans écarter la possibilité que la société 9eArt+ réponde à l’appel à projets.
L’apaisement sera de courte durée. Les braises se rallument après la publication d’un article de L’humanité daté du 13 octobre, qui donne le prestataire historique 9eArt+ favori. Un syndicat d’auteurs dénonce d’emblée un « appel biaisé depuis le départ ». « Le choix du nouveau prestataire semble avoir été fait depuis longtemps: 9eART+ ! Une société qui n’hésite pas à afficher son mépris à l’égard des auteurs.ices et que, de fait, nous ne souhaitons pas voir reconduite pour neuf ans à la tête du Festival », tonne l’organisation dans un texte également signé par la Ligue des auteurs professionnels. En même temps Anouk Ricard, sacrée Grand Prix en 2025, enfonce le clou. Elle décide purement et simplement de boycotter la manifestation.
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« Dans le contexte actuel, autour de l’organisation du festival, j’ai pris la décision de ne pas participer à l’édition 2026 ni à l’exposition qui devait m’être consacrée », écrit sur Instagram l’artiste de 54 ans, qui souhaite un « festival plus respectueux et à l’écoute de toutes les voix ». Un « choix personnel », « en soutien aux voix qui demandent un changement nécessaire et qui appellent au boycott », enchérit-elle. Aujourd’hui, les cartes sont entre les mains de la présidente de l’association fondée par son père Francis Groux en 1974. Osera-t-elle exclure définitivement la société de Franck Bondoux, rien n’est moins sûr…