Curt Arpe n’avait visiblement pas l’âme du soldat, mais plutôt d’un passionné d’archéologie. En juin 1940, trois semaines avant l’armistice, le jeune homme de 27 ans de la Wehrmacht est posté dans le village de Fossemanant dans la Somme. Dans un pré, il découvre une pierre taillée et décide d’entamer des fouilles. Il trouve alors plusieurs tombes de l’époque mérovingienne, soit entre le 6e et le 8e siècle, dont certaines cachaient des vases. La famille du soldat, qui garde les objets depuis 1942, a décidé en avril de les restituer au centre archéologique de la Somme.
«On ne pouvait pas les refuser, c'est exceptionnel», déclare à France 3 Gilles Prilaux, chef du pôle scientifique pour Somme patrimoine. En avril, ce dernier reçoit un mail qui attire son attention. Wolfgang Voigt, l'ancien directeur du musée de l'Architecture allemande à Francfort, lui explique «qu'il détient des vases mérovingiens, trouvés dans la Somme et souhaite connaître la procédure pour nous les remettre.» Les équipes du centre archéologique départemental de Ribemont-sur-Ancre, alertent la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) des Hauts-de-France qui valide la restitution.
En plus des objets rarissimes, Wolfgang Voigt, beau-fils de Curt Arpe, leur a confié de précieuses informations sur ce dernier. Le jeune soldat allemand était un ancien élève du philosophe Martin Heidegger à l'université de Hambourg. Il est diplômé en philologie classique et auteur d'une thèse sur la quiddité chez Aristote selon France 3. Durant l’été 1940, après avoir fini ses fouilles sur le terrain de l'industriel amiénois Jacques Cosserat, il doit retourner au front.
« Les sites les plus fouillés en Picardie sont, pour une grande majorité, d'époque gallo-romaine »
Gilles Prilaux
Le soldat-archéologue envoie onze objets en Allemagne après les avoir achetés au propriétaire du terrain et à des habitants. En 1942, Curt Arpe mourra au combat, quelque part en Russie. La collection est précieusement conservée par sa famille à Hambourg, puis à Brême chez une tante de son beau-fils Wolfgang. «En 2000, elle m'a dit que comme je travaillais dans un musée, c'était à moi de garder les vases». Une fois à la retraite, l’architecte décide de les restituer, au nom de «l'amitié franco-allemande».
Les vases sont alors réceptionnés par le centre archéologique dans le courant du mois de mai et vont faire l’objet d’analyses pour permettre de les dater précisément. Selon Gilles Prilaux, «les sites les plus fouillés en Picardie sont, pour une grande majorité, d'époque gallo-romaine. Cette restitution, c'est sans aucun doute une chance pour nos collections». André Lefèvre, le maire de Fossemanant n’en revenait pas : «Quand Gilles Prilaux m'a appelé, j'ai été déboussolé. Ma femme est arrivée dans le village à l'âge de quatre ans et n'avait jamais entendu parler des céramiques.»
Le 20 juillet, Wolfgang Voigt et son frère se rendront dans le village picard pour officialiser cette restitution. Les vases pourraient être visibles du public à Ribemont-sur-Ancre à partir du mois de septembre.