Cinq questions clés sur le DOGE, la commission d’Elon Musk qui opère une purge administrative
Convoqués dans le Bureau ovale, ce mardi 11 février, pour assister à la signature de nouveaux décrets présidentiels, les correspondants de la Maison Blanche ont eu la surprise de se retrouver nez à nez avec Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, debout à côté du président Donald Trump, son petit garçon sur les épaules.
"Nous avons un décret très important, il s’agit du DOGE", a déclaré le 47e président des États-Unis, s'apprêtant à élargir les pouvoirs du nouveau département de l’Efficacité gouvernementale – une commission extra-gouvernementale créée le 20 janvier et aux contours particulièrement flous.
Le décret signé mardi par Donald Trump donne au patron de Tesla, X et SpaceX une large latitude, à la fois pour sabrer dans les budgets de l’administration fédérale américaine, mais aussi pour approuver – ou non – les futurs recrutements au sein de ces administrations.
En quoi consiste réellement le "DOGE" piloté par Elon Musk ? Son action est-elle constitutionnelle ? France 24 se penche sur la nature cette commission qui se veut "efficace" pour l’administration fédérale américaine, mais dont la légitimité suscite des interrogations.
À voir aussiÉtats-Unis : Elon Musk bouleverse le fonctionnement de l'État fédéral américain • FRANCE 24
Quand a-t-il été mis en place et de quoi s’agit-il ?
Le "Department of government efficiency" – dit DOGE – a été créé par décret présidentiel le 20 janvier, jour de l'investiture de Donald Trump. Son nom semble un clin d'œil à la crypto-monnaie préférée d’Elon Musk, le dogecoin, dont l'emblème est le chien Shiba.
Pilotée par le patron de Tesla, le DOGE, qui s'apparente à une "commission à l'efficacité", a pour mission de tailler dans les dépenses des agences gouvernementales et réduire les effectifs fédéraux. Ses mesures incluent l’obligation pour les agences de n'embaucher qu’un employé pour quatre départs.
Le DOGE n’est pas une agence gouvernementale à proprement parler. Elon Musk lui-même a été nommé comme un "employé spécial" du gouvernement, ce qui l'exempte de déclaration financière publique.
Quelle est sa méthode ?
La méthode employée présente des similarités avec la politique menée par Javier Milei, le président ultralibéral argentin.
"Ils arrivent avec une tronçonneuse dans l'administration publique", explique sur France 24 Hind Ziane, présidente de la start-up politique et tech Génération politique, en référence à Elon Musk et Donald Trump. L’argument est le suivant : "avancer un électorat qui soutient économiquement ces coupes budgétaires, pour contrer l’apparent 'deep state' – ou État profond – qui dépenserait mal l’argent public", ajoute-t-elle.
À voir aussiÉtats-Unis : nouvel obstacle juridique pour Elon Musk • FRANCE 24
Les termes employés par les équipes du DOGE pour s'adresser par courriel aux employés fédéraux "étaient exactement les mêmes reçus par les employés de X (ex-Twitter) quand il leur était proposé de quitter l’entreprise contre argent et rémunération", explique notre journaliste Kethevane Gorjestani, ancienne correspondante à Washington.
Une mesure efficace, "puisque quelque 65 000 fonctionnaires fédéraux ont déjà démissionné sur 2 millions – en leur proposant de continuer à payer leurs salaires, pendant les huit prochains mois", relate notre journaliste.
Selon le quotidien britannique The Guardian, le DOGE emploie également des méthodes plus agressives pour contraindre des hauts fonctionnaires au départ. Elon Musk aurait ainsi effectué trois appels pour exiger la suspension de dizaines de responsables de l’Agence américaine pour le développement (Usaid).
"Nous publions nos actions sur l’interface du DOGE sur X, et sur le site web du département. Nos actions sont donc extrêmement transparentes", s'est défendu Elon Musk devant la presse.
Or cette plateforme en ligne contient très peu de détails sur les agissement du DOGE. Et des dizaines d'actions en justice sont en cours pour tenter de bloquer les efforts de Trump et Musk pour remodeler radicalement le gouvernement fédéral.
Quels sont ses objectifs ?
Réduire la main-d'œuvre au sein de l’administration, et économiser des centaines de milliards de dollars sur le budget du gouvernement fédéral. Lors de son intervention dans le Bureau ovale, le président républicain a pointé mardi "des milliards de gaspillage, de fraude et d’abus". Un déficit de "2 000 milliards de dollars", qui risque de mener assurément le pays "vers la faillite", a renchéri le patron de Tesla et SpaceX, également propriétaire du réseau social X.
Dix-neuf agences fédérales seraient concernées, à commencer par Usaid, dont le personnel doit être réduit à moins de 300 personnes contre plus de 10.000 actuellement, a rapporté vendredi le New York Times, soit une coupe de 97 %. D'autres agences depuis longtemps visées par les milieux conservateurs, comme le département de l’Éducation (DOE) et l’agence nationale sur la météorologie, sont également dans le collimateur de la nouvelle commission.
À ce jour, 38 millions de dollars auraient été déjà économisés, selon les déclarations du DOGE, qui n'avance ni preuves ni détails pour confirmer cette information.
À lire aussiLa fermeture de l'Usaid, une menace existentielle pour les programmes humanitaires
Qui sont les jeunes ingénieurs mandatés pour "hacker" l’État fédéral ?
Le 2 février, le magazine américain Wired a épinglé de jeunes ingénieurs travaillant pour le DOGE et soupçonnés d’avoir pris les manettes de systèmes informatiques essentiels de l’État fédéral américain.
Baptisés les "DOGE kids", certains d'entre eux ont obtenu accès au système de paiement fédéral, un logiciel du Trésor américain qui assure tous les versements effectués par le gouvernement et ses entités. C'est le cas notamment d'un certain Marko Elez, 25 ans et passé par SpaceX, qui aurait eu un accès administrateur à des systèmes informatiques manœuvrant les paiements fiscaux du Trésor américain.
Cette affaire a suscité une levée de boucliers et des inquiétudes sur le respect des données personnelles des Américains. Marko Elez a été poussé à la démission vendredi après la publication par le Wall Street Journal de ses liens avec un compte X aux multiples posts racistes ou prônant l'eugénisme.
Quel impact sur la démocratie américaine ?
Les méthodes employées par Elon Musk et ses "DOGE kids" ont suscité des batailles légales à travers le pays. Plusieurs recours ont été déposés pour freiner ce que les critiques de Donald Trump présentent comme une extension illégale de son pouvoir exécutif.
L'opposition démocrate a notamment dénoncé les actes entrepris par Elon Musk, qu'ils jugent illégaux car ce dernier ne dispose d'aucun mandat électoral ou de portefeuille gouvernemental pour cette mission. "Le DOGE n’a pas de statut fédéral, et si Donald Trump a donné les clefs à Elon Musk, cela n’a pas été approuvé par le Congrès", commente Magali Lafourcade, secrétaire fédérale de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, sur France 24.
"Le projet est violent, il est d’une brutalité inouï", ajoute la magistrate.
Démocrates, syndicats et militants, qui semblaient dans un premier temps sonnés par l'ampleur de l'offensive, ont lancé une série de recours en justice contre les projets du président républicain. "Beaucoup de juges fédéraux ont rejeté les mesures et freiné une grande partie de cette escapade", souligne John Rick Macarthur, directeur de Harper’s Magazine, qui déplore “finalement une mesure anticonstitutionnelle”.