Lors d’un discours prononcé le 8 novembre au camp Agali, à Dosso, au sud-ouest de la capitale nigérienne Niamey, le général Abdourahamane Tiani a accusé la France de vouloir “déstabiliser” son pays en envoyant un porte-hélicoptère au Bénin pour y débarquer des troupes :
“Il est temps que ceux qui pensent que nous aimons juste pointer du doigt se réveillent et comprennent la volonté de la France de nous déstabiliser. C'est une vérité et nous ne cessons jamais de le dire.
Rien qu'avant-hier [le 6 novembre, NDLR] , il y a un porte-hélicoptère amphibie, qui s'appellerait Tonnerre, qui a accosté au port autonome de Cotonou [la capitale économique du Bénin, NDLR]. À bord, c'est des milliers de soldats français. On vous dira que c'est un exercice.
Mais combien de ports sont plus appropriés que le port béninois pour conduire ce type d'exercice ? Et à ce que je sache et à date, ça doit être le dixième débarquement à travers des porte-hélicoptères amphibies. Le 7 décembre, il y en avait eu un autre et nous les suivons régulièrement.”
Le président Abdourahamane Tiani accuse en effet régulièrement le Bénin d’abriter des manœuvres hostiles au Niger. Dans un meeting organisé le 9 novembre à Gaya dans l’ouest du Niger, le dirigeant a ainsi appelé à maintenir fermée la frontière avec le Bénin, en reprochant au pays d’accueillir des “soldats français et belges” et de “financer et soutenir le terrorisme pour déstabiliser les pays de l’AES”, acronyme de l’Alliance des États du Sahel, qui réunit le Burkina Faso, le Niger, et le Mali.
Un bâtiment pouvant transporter seulement quelques centaines de soldats
Le porte-hélicoptère amphibie (PHA) Tonnerre, un bâtiment de la marine nationale française, a effectivement réalisé une escale à Cotonou du 2 au 9 novembre.
Cependant, contrairement à ce qu’affirme le général Tiani, il est matériellement impossible que le navire ait pu débarquer des “milliers de soldats” au Bénin et ce pour des raisons capacitaires.
Le Tonnerre est un porte-hélicoptères amphibie de classe Mistral opéré par un équipage de 177 marins et possédant une capacité de transport de troupes limitée à 400 à 900 soldats, peut-on lire sur le site du ministère des Armées.
En 2013, pour l'opération Serval visant à lutter contre les jihadistes au Mali, le Dixmude, un autre porte-hélicoptère de la même classe que le Tonnerre. L'unité déployée au Sénégal, le Groupement tactique interarmes 2 (GTIA 2), ne comptait alors, selon un rapport de l'Assemblée nationale, qu'environ 650 hommes.
Les militaires transportés à Cotonou en novembre 2025 n'auraient de toute façon pas pu être employés pour une opération de changement de régime, explique à la rédaction des Observateurs Michael Shurkin, directeur des Programmes globaux à 14 North Strategies, une entreprise de conseil : "Si la France voulait faire tomber la junte, [elle aurait utilisée] des forces spéciales et aéroportées dans le cadre d'une opération éclair. Une force débarquée à Cotonou prendrait trop de temps pour arriver à Niamey"
Des manœuvres renouvelées depuis 35 ans
Si, comme le souligne le général Tiani, la marine française réalise régulièrement des exercices navals au Bénin, ces manœuvres n'ont cependant rien de secret.
Elles ont lieu dans le cadre de l'opération Corymbe, dont les débuts remontent à l'année 1990. Au titre de cette mission, dont on peut consulter les objectifs sur le site du ministère des Armées, "un à deux bâtiments français" sont déployés dans le golfe de Guinée de "façon quasi permanente" au titre de coopérations sécuritaires telles que la lutte contre la piraterie ou les trafics illicites.
"L'arrivée des forces françaises [au Bénin] a été programmée depuis très longtemps et n'a rien à voir avec les évènements récents", ajoute Michael Shurkin. "La France s'intéresse à maintenir des bonnes relations avec le Bénin et la région, et elle s'intéresse aussi à la sécurité maritime dans la golfe de Guinée. Maintenant que le Bénin est menacé par les jihadistes, les Français veulent travailler avec les Béninois pour sécuriser le pays. À cette fin, il est dans l'intérêt de la France de continuer de soutenir le Bénin."
L'escale du Tonnerre au Bénin n'a donc rien d'une opération clandestine, et a même fait l'objet d'un cocktail avec des "diplomates, des acteurs économiques et de la société civile et des militaires [béninois]" le 5 novembre, rapporte le quotidien béninois La Nation.
Un complotisme pour gagner en légitimité
Les craintes du général Tiani d'une intervention française contre le Niger sont-elles malgré tout justifiées ? Michael Shurkin ne le croit pas :
"Les forces françaises au Bénin peuvent, il est vrai, faire tomber le Niger si la France en avait l'envie. Mais la probabilité d'une telle action est presque de zéro : de ce que j'ai entendu, l'appétit [de la France] pour une intervention africaine à l'ancienne n'existe pas. Le regard de Paris s'est tourné vers l'Ukraine et le Moyen-Orient.
La seule exception que je peux envisager, c'est si le Mali ou le Niger tombe aux mains des jihadistes, il est possible que Paris se retrouve obligé d'intervenir pour sécuriser les ressortissants français. Dans ce cas, il s'agira d'une évacuation plutôt qu'une tentative pour remettre débout les États qui chuteraient."
Malgré cela, le président Tiani a très régulièrement recours aux théories du complot dans ses discours mettant en cause la France, ainsi que le rapporte le magazine Jeune Afrique : rendez-vous entre agents français et des terroristes du groupe État islamique, camp d'entraînement au Bénin, création d'une "cellule Sahel à l'Élysée" visant le Niger, bases militaires au Nigéria…
Le complotisme du chef d'État nigerien s'expliquerait par des considérations de politique intérieure, estime Michael Shurkin :
"La France ne s'intéresse pas à faire tomber la junte nigérienne et ne s'intéresse pas au Niger autant que les Nigériens aiment croire. Mais Tiani aime évoquer le spectre d'une menace française pour se présenter comme un champion de la souveraineté. Il en a besoin pour sa légitimité, car autrement il n'en a aucune". Le général Tiani est au pouvoir depuis le 26 juillet 2023, date où il a mené un coup d’État renversant le président Mohamed Bazoum, élu en 2021.