Exposition à Paris : La mode aime Snoopy et vice versa
Elles ont eu l’idée de cette exposition autour d’un café, il y a deux ans. Melissa Menta, vice-présidente de Peanuts Worldwide, de passage à Paris, raconte à Sarah Andelman, fan bien connue de Snoopy qu’elle a souvent mis en scène dans le magasin Colette dont elle est la cofondatrice, les pistes envisagées pour les 75 ans de la bande dessinée. Réalisant ensemble que ses liens avec la mode n’avaient jamais vraiment été explorés et qu’il n’y avait pas de meilleur endroit que Paris pour y remédier, elles lancent le projet « Snoopy in Style ». Melissa Menta contacte alors le Musée Charles M. Schulz en Californie, ainsi que celui de Tokyo. De son côté, Sarah Andelman use de son entregent et de son réseau pour convaincre de nouveaux créateurs d’habiller la peluche. Le résultat de leur coopération est exposé jusqu’au 5 avril dans un hôtel particulier de la rue de Turenne. C’est joyeux, intéressant, et le propos saura capter les visiteurs, de 7 à 77 ans, bien au-delà des seuls fans du célèbre chien assoupi sur le toit de sa niche.
La première grande salle est dédiée au père de Peanuts, Charles Schluz, jeune homme élégant, originaire du Minnesota, qui n’était pas un passionné de mode mais avait compris le pouvoir des vêtements. « J’ai d’abord dessiné Charlie Brown (le premier personnage de la série né en 1950, NDLR) avec un simple tee-shirt blanc, racontait-il dans le New York Times en 1999. Mais il ne ressortait pas vraiment sur la page. Alors, je lui ai donné cette petite bande en zigzag, et il l’a gardée depuis. Le motif permet de le distinguer. Je pense que l’identification des personnages est très importante dans une bande dessinée, afin que le lecteur sache immédiatement qui il regarde. C’est pourquoi Sally porte toujours des pois, Linus des rayures horizontales, et Schroeder des bandes. » Le rez-de-chaussée de l’hôtel particulier, où est exposé ce préambule historique avec des planches de dessins, des photos et des accessoires personnels, s’ouvre sur un jardin où un café Starbucks a été installé, dévoilant une collaboration du barista avec Peanuts.
La visite se poursuit au sous-sol où sont rassemblées 75 peluches rhabillées par autant de créateurs de mode. Une majorité d’entre elles date d’une exposition au Japon en 1982, d’autres d’un événement au Musée des Arts déco à Paris en 1990, tandis qu’une quinzaine a donc été spécialement habillée pour l’occasion, à l’initiative de Sarah Andelman. Elle a su convaincre, entre autres, Marine Serre et Rabih Kayrouz, Paul Smith et Guillaume Henry chez Patou, KidSuper, Simone Rocha et Alessandro Michele pour Valentino… Tous ont imaginé une tenue pour le couple Snoopy et Woodstock. Dans les peluches vintage, on retrouve le chien et sa sœur Belle couverts de fourrure par Fendi, aux corps matelassés et boutons dorés par Karl Lagerfeld pour Chanel, en tenues de tennis griffée Gucci, moulés dans de la maille multicolore par Sonia Rykiel…
Les projecteurs sont aussi braqués sur Connie Boucher, femme d’affaires américaine, ambitieuse et visionnaire, qui fut une des premières à la fin des années 1950, à avoir l’idée de décliner en poupées et en accessoires les héros de cartoons, donnant naissance à un raz-de-marée de produits dérivés. Une salle leur est dédiée avec un extrait des milliers de sneakers et de sweat-shirts, de montres et de blousons, plus ou moins récents, griffés Vans, Uniqlo, Omega et affichant les visages ou les attributs du flegmatique cabot et de sa bande.
Le clou de cette mise en scène reste l’espace consacré à Jean-Charles de Castelbajac, son amitié avec Charles Schulz et les multiples fois où il s’est emparé de Snoopy, « un fidèle compagnon de route », s’amuse-t-il. En majesté, trône le manteau de peluches qu’il a imaginé en 1981 et fait porter par Vanessa Paradis lors d’un défilé au Carrousel du Louvre, resté dans les annales de la mode. « J’ai toujours aimé ces personnages très humains, pas standardisés, dessinés avec un trait imparfait, raconte le créateur. J’ai rencontré Charles Schulz alors que je lui avais “piraté” son personnage pour le mettre sur des pulls Iceberg… Il m’a contacté pour me dire qu’il était de passage à Paris. Nous avons déjeuné ensemble chez Lipp et avons signé notre premier contrat ! C’était un épicurien, cultivé, profond, nous sommes devenus amis. En clin d’œil à mon goût pour les couvertures, les manteaux, les peluches (que j’ai utilisé très tôt pour ne pas avoir recours à la fourrure), il m’appelait Linus, son personnage accroché à son doudou. Il n’avait pas de volonté de révolutionner la pop culture, mais il voulait faire passer un message bienveillant, existentialiste, stoïcien. »
Le K-Way que Castelbajac créa dans les années 2000 avec une citation de Schulz (« Save the world is always in style ») a été réédité pour la boutique de l’exposition. Un espace développé de main de maître par Sarah Andelman, avec des livres vintage et des Bic 4 couleurs, des peluches et des figurines, des affiches et des magnets. « Quel que soit l’âge auquel on relit ces BD, on ne peut rester insensible à la philosophie joyeuse et bienveillante de Snoopy, souligne-t-elle. Personnellement, j’adore Woodstock, que je trouve drôle, cynique. D’ailleurs, mon fils s’appelle Woody ! Charles Schulz a su capter son époque, et cet esprit moderne a extrêmement bien traversé les décennies. »
Exposition gratuite, jusqu’au 5 avril, à l’hôtel du Grand Veneur, 60, rue de Turenne (Paris 3e), ouverte tous les jours de 11 h à 18 h.