«On reçoit un petit bout de France» : le «colis de Noël du soldat», un soutien moral pour les militaires en opération
Le lieutenant-colonel Philippe Drécourt s’en souvient comme si c’était hier. Déployé en Afghanistan à Noël 2010 avec le 7e bataillon de chasseurs alpins, l’officier évoluait dans un «climat tendu et hostile». Mais ce 24 décembre au soir, comme tous les militaires français dans le monde entier, il a profité de quelques minutes de répit pour ouvrir un petit colis provenant de France. «À chaque fois, c’est comme la joie du petit garçon devant le sapin», témoigne-t-il. Onze ans plus tard, cette fois lors d’une mission Sentinelle, l’officier en recevra un autre, avec toujours la même émotion.
Chaque année, au moment des fêtes de fin d’année, l’association Solidarité Défense envoie un cadeau à tous les soldats déployés en opérations extérieures (Opex), intérieures (Sentinelle, mais aussi Harpie en Guyane) et en mer. «Ceux qui défendent les intérêts et l’intégrité de notre pays sont ainsi conscients de notre reconnaissance», explique son délégué général, le général (2S) Jean-Eudes Barau. Cette année, 13.500 colis ont été acheminés vers le Sahel, le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est et même à bord du porte-avions Charles de Gaulle, parti fin novembre pour quatre mois dans l’Indopacifique.
Cadeaux et dessins d’enfants
Le contenu est toujours plus ou moins le même : une lettre du président de la République, qui se rend vendredi soir à Djibouti pour le traditionnel repas de Noël avec les troupes, et du président de Solidarité Défense, des friandises, des dessins d’enfants et des cadeaux qui changent chaque année. «Cette année, c’est un bloc multiprise, un porte-tenue et un sac ficelle», détaille le capitaine Pierre Eldin, responsable coordination et logistique de l’opération pour le Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), commandé par le général de brigade aérienne Fabrice Feola. «Nous cherchons avant tout l’efficacité». Les années précédentes, ce furent un porte-cartes, une trousse de toilettes, ou encore un thermos.
«C’est un vrai moment de réconfort, car on reçoit un petit bout de France», sourit l’officier. «On se rend compte qu’on n’est pas oublié par la nation», ajoute celui qui a lui-même pu en bénéficier, quand il a été déployé au Sahel en 2018 et au Liban en 2020, avec le 14e régiment d’infanterie et de soutien logistique parachutiste (RISLP).
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De toutes ces petites attentions, ce sont les dessins d’enfants qui touchent le plus les militaires. Cette année, 40.000 esquisses ont été confectionnées dans 800 écoles primaires. «C’est toujours très émouvant», confie Thomas, caporal-chef au sein des troupes de montagne, qui a déjà passé trois Noël en opération Sentinelle. «Je garde précieusement ces dessins, qui témoignent de la candeur des enfants, et je leur réponds toujours avec un petit cadeau en rentrant de mission», indique-t-il. En 2023, un pilote de Rafale de l’armée de l’air a invité toute une classe d’Alsace, qui lui avait envoyé un dessin, à venir visiter sa base aérienne. «On devient un réel vecteur de pensée et d’attrait pour le métier des armes», se félicite le capitaine Eldin.
De la Yougoslavie à la Roumanie
L’opération va fêter ses 30 ans l’année prochaine. Lancée en 1995, elle est «l’opération emblématique de Solidarité Défense», souligne le général Barau. Depuis sa création, l’année précédente, l’association accompagne les soldats blessés au combat, les familles endeuillées, et s’emploie à resserrer les liens entre la société civile et la communauté de Défense. En pleine période de la guerre des Balkans, les premiers colis furent surtout envoyés en Yougoslavie, et dans une moindre mesure en Afrique. Aujourd’hui, les conflits se sont déplacés encore plus à l’Est. Outre le groupe aéronaval du Charles de Gaulle, qui compte plus de 3500 marins, le pays qui recevra le plus de colis est la Roumanie, où 1500 soldats de la mission Aigle vont bénéficier de l’opération.
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À l’inverse, l’Afrique n’est plus une destination en vogue pour l’armée française, qui est en train d’y perdre pied. Cette année, moins de 1500 colis sont partis au Tchad, pays qui vient de demander le retrait des troupes françaises de son sol, comme le Sénégal, quelques mois après le Mali, le Niger et le Burkina Faso. En 2022, année de l’annonce de la fin de l’opération Barkhane, «3000 colis étaient encore expédiés au Sahel», souligne le général Barau.
Mais le plus gros destinataire reste le territoire métropolitain, avec 3564 soldats concernés par l’opération Sentinelle pour les fêtes de fin d’année. «J’ai reçu trois colis dans ces circonstances, mais je ne me sentais jamais vraiment légitime», souffle Thomas, le soldat des troupes de montagne, presque désolé. À ses yeux, «ceux qui se trouvent en Afrique, au fin fond du désert, pour quatre mois d’Opex, le méritent plus». Mais le «colis du soldat» n’est pas calculé en fonction du degré de dangerosité ou d’éloignement de la mission. Il «garantit le soutien de la nation aux militaires engagés en opération, quelle qu’elle soit», insiste le général Barau.
Une organisation de 10 mois et 160.000 euros
La multiplication des zones de conflits a en tout cas fait de cette opération un défi logistique. Le processus ne dure pas moins de 10 mois et coûte 160.000 euros, une somme largement financée par les mécènes de l’association. La composition du colis est discutée dès le début de l’année et arrêtée à la fin de l’hiver. À l’été, toutes les commandes sont passées. Il faut ensuite trier et classer tous les dessins, ce qui demande au moins deux semaines. Puis, la semaine avant les vacances de la Toussaint, bénévoles et volontaires confectionnent les colis dans la salle des quatre colonnes des Invalides.
Cette année, des élèves d’un Établissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide), ceux d’un lycée professionnel et le 1er régiment du Service militaire volontaire (RSMV) ont contribué à l’opération. «C’est important pour nous de soutenir les militaires qui ne seront malheureusement pas présents pour leurs familles, et qui pourtant nous gardent en sécurité au sein de notre pays», témoigne l’un des jeunes volontaires présents pour l’opération. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a fait le déplacement pour encourager l’initiative, accompagné notamment du chef d’état-major des Armées Thierry Burkhard.
En charge de l’expédition, le CSOA reçoit ensuite les colis à la base aérienne 107 de Villacoublay. Commence alors la course contre la montre. Six à huit semaines sont nécessaires pour acheminer les précieux cadeaux aux quatre coins du monde. En train, en avion, en bateau... Les colis doivent parfois être livrés dans le port d’escale d’un navire au moment précis où il y mouillera. Pour que le 24 décembre au soir, qu’importe le fuseau horaire, chaque soldat français puisse apprécier «un petit bout de France».