Travailler à Tel-Aviv pendant les frappes iraniennes

Pour comprendre les conditions de travail en ce moment à Tel-Aviv, pour les journalistes, la médiatrice de Radio France a appelé Farida Nouar, envoyée spéciale de guerre. La capitale économique d’Israël a été particulièrement ciblée par la riposte iranienne ces derniers jours.

Emmanuelle Daviet : Immeubles éventrés, décombres dans les rues, les auditeurs souhaiteraient savoir quelles précautions vous avez dû prendre avec votre technicien Eric Audra, pour assurer votre sécurité tout en continuant à couvrir les événements ?

Farida Nouar : Tout d’abord, on suit les consignes de sécurité, comme tous les Israéliens ici. C’est-à-dire que, quand on recevait les alertes de missiles sur notre téléphone, on se réfugiait dans un "shelter", un abri. Il y en a beaucoup ici à Tel-Aviv. À un moment, on s’est même mis dans une cage d’escalier. Et puis on attend, comme tout le monde, que l’alerte soit levée. Nos chefs, à Paris, nous le disent d’ailleurs : la sécurité avant tout et tant pis pour le direct.

C’est toujours impressionnant, même quand on est dans un abri, d’entendre ces gros boums ou bien le dôme de fer qui intercepte les missiles. On a l’impression que c’est tout près, ça fait trembler les murs de nos chambres d’hôtel. Mais une fois que ces missiles sont passés, on reprend notre travail, on reprend nos interviews, on fait un peu comme les Israéliens. D'ailleurs, cela m’impressionne quand je vois comment ils reprennent leur vie normale, 10 minutes après un bombardement. Comme si de rien n’était, alors qu’il y a 6 missiles potentiellement qui sont passés au-dessus de leurs têtes.

Sinon, comme pour toutes les missions de ce genre, on appelle ça des missions en zones à risques, on a toujours avec nous, nos gilets pare-balles qui restent dans le coffre de notre voiture. Mais nous, nous ne les avons pas mis une seule fois pendant toute la durée de cette mission.

Vous venez de nous dire qu’après les alertes, vous reprenez votre travail. Les auditeurs aimeraient savoir comment vous choisissez les témoins ou les interlocuteurs que vous interrogez sur place ?

De façon très naturelle. Par exemple, quand on arrive sur les lieux d’une frappe, on voit des personnes avec des valises qui sont déjà en train d’être évacuées. Eh bien, ces personnes-là, on leur tend le micro. Pour l’un des derniers reportages que j’ai fait sur le cessez-le-feu, je suis allée dans la rue interroger les Israéliens. Pour d’autres interlocuteurs, comme un adjoint au maire, un spécialiste de la cyberguerre ou une maman d’otages à Gaza, j’ai pu compter sur ma "fixeuse", Alexandra. Elle habite en Israël et elle a un bon carnet de contacts. J’ai toute confiance en elle parce qu’elle travaille avec le correspondant de Radio France toute l’année, sur place. J’ai pu compter sur elle pour trouver des sujets qui soulèvent des questions un peu plus profondes, sociétales, comme la problématique du manque d’abris dans les villes arabes.

En tant que journaliste française sur place, ressentez-vous une pression particulière, politique ou autre ?

Non, je n’ai pas ressenti de pression. Mais sur cette mission, à la différence des autres (c’est la cinquième fois que je viens ici), les autorités nous ont fait passer un message : ne plus donner la localisation exacte des frappes. Un petit peu comme une censure.

Cinquième mission pour vous à Tel-Aviv. Qu’est-ce qui vous semble le plus difficile humainement et professionnellement pour cette mission précisément ?

C’est toujours difficile de ne pas être émue quand on rencontre une personne qui a tout perdu comme ça en une fraction de seconde. Je me souviens de ce grand-père qui s’appuyait sur sa canne face à un immeuble éventré par un missile iranien. Il s’est mis à pleurer devant nous parce qu’il avait eu très peur. Il a déjà vécu 3 guerres et il n’aurait jamais pensé qu’un jour un missile balistique tomberait à quelques mètres de chez lui.

Professionnellement aussi, c’était une mission assez intense physiquement, parce que les alertes, c’était beaucoup la nuit, vers 2h du matin, quand vous venez à peine de vous coucher parce que vous avez envoyé le dernier reportage, le dernier sujet, après déjà une longue journée de direct. Donc on a eu des nuits très courtes. Et puis aussi, ce qui est difficile, ce qui n’est pas satisfaisant pour moi comme pour beaucoup de mes confrères sur cette mission, c’est de se dire que juste à côté, il y a aussi des bombes qui tombent. Il y a aussi des personnes qui ont tout perdu. Il y a aussi des immeubles réduits en miettes et que nous, journalistes, nous ne pouvons toujours pas accéder à Gaza pour faire ce que j’ai fait ici, c’est-à-dire tendre le micro et raconter ce qui se passe.