Gabi Hartmann et Tina Turner, albums de la semaine du Figaro
Gabi Hartmann, La Fille aux yeux de sel
Voici le deuxième album d’une chanteuse de 33 ans pas comme les autres. On ne saurait comment qualifier cet exercice très réussi. Album concept ? Conte musical ? La fille aux yeux de ciel ne ressemble à rien d’autre dans la production musicale actuelle. Cette proposition forte et singulière est l’œuvre d’une artiste adoptée par la critique et le public dès son premier essai, éponyme, en 2023. Un album plutôt jazz et assez sage, qui ne nous préparait pas à l’audace de celui-ci. Véritable parcours initiatique en chansons, La Fille aux yeux de sel retrace l’évolution de Salinda, une femme qui pourrait bien être une sirène, en proie à l’innocence, aux désillusions, pour aboutir à la sérénité. Le chemin de la vie d’une femme, narré avec douceur : on n’est pas ici dans le militantisme ou la revendication. Inspirée par La Rumba des îles, pièce musicale tirée du film India Song de Marguerite Duras, Gabi Hartmann cite aussi les chanteuses Mercedes Sosa ou Miriam Makeba au rang de ses influences. Pour cette partition épicée, la jeune femme peut compter sur des collaborateurs de la trempe de Jesse Harris ou Laurent Bardaine, qui l’aident à brouiller les pistes et à abolir les frontières entre pop, jazz, chanson, musique du monde et soul. Une approche moderne à souhait, qui accueille un instrumentarium aussi naturel qu’éclectique. Il faut avoir une bonne dose de culot pour imposer un projet aussi foisonnant par les temps qui courent.
Tina Turner, Private Dancer
De l’audace, il en aura fallu à Tina Turner aussi pour revenir au premier plan, à l’âge de 45 ans, alors que les Cassandre la disaient finie après sa séparation avec le tyrannique Ike près d’une décennie auparavant. Signée sur le label Capitol, la chanteuse allait pourtant s’imposer en superstar grâce à ce disque. Private Dancer , sorti au printemps 1984, célèbre son 41e anniversaire avec une édition enrichie en bonus divers. Mais cela ne saurait détourner de la qualité intrinsèque d’un disque qui allait faire de Tina la plus grande chanteuse rock de l’histoire. Entourée de producteurs britanniques dans l’air du temps, la dame allait aligner quantité de tubes des saisons 1984 et 1985. Une génération entière lui doit la découverte des standards soul I Can’t Stand the Rain (Ann Peebles) et Let’s Stay Together (Al Green) remis au goût du jour eighties. Et, parmi les chansons originales, on distingue le morceau phare de l’album, Private Dancer, qui lui donnera son titre. Écrit et composé par Mark Knopfler, ce morceau initialement destiné à son groupe Dire Straits, est un véritable joyau. Tina Turner y chante divinement, passant d’une octave à l’autre avec une souplesse et une puissance rares. Truffé d’un chorus de guitare du regretté Jeff Beck, Private Dancer est devenu un standard. Et la carte de visite d’une artiste qui signait avec cet album un des come-back les plus fracassants de l’histoire de la musique populaire.