Décès de Michel Schifres, ancien directeur de la rédaction du Figaro
Pour rien au monde, il n’aurait loupé le Tour de France. Cette année, à quelques jours du départ de la Grande Boucle, il ne pourra malheureusement pas être devant sa télévision. Michel Schifres a quitté le peloton dans la nuit de mercredi à jeudi dernier. À 79 ans, le cœur a lâché dans les derniers lacets. Il avait pourtant surmonté jusque-là plusieurs accidents de santé - dont une fracture du myocarde et des cancers - et était sorti indemne d’une impressionnante sortie de route au volant de sa voiture, le jour de Noël 2022, en revenant de Normandie.
Ce journaliste a quasiment tout connu de la presse écrite depuis qu’il y était entré, peu après 1968. Son parcours le conduira de l’illustre Combat de Pascal Pia et d’Albert Camus à L’Opinion. En première page du quotidien de Nicolas Beytout, il signait encore, il y a peu, un billet plein d’humour. Sa plume piquante exécutait tous les jours un sujet en 780 signes, pas un de plus. Entre ces deux titres, Michel Schifres était passé par Le Monde, Le Quotidien de Paris et Le Journal du dimanche. Il avait ensuite fait les beaux jours de France-Soir, dont il fut le directeur de la rédaction, puis du Figaro et du Figaro Magazine, deux journaux qu’il dirigea successivement au début des années 2000, après Franz-Olivier Giesbert.
«Le verbe rare, le regard perçant»
La politique française était sa spécialité. Il s’y était construit une solide réputation d’enquêteur puis d’éditorialiste. De Charles de Gaulle à Emmanuel Macron, tous les présidents de la Ve République eurent droit à ses satisfecit et ses critiques, ses encouragements et ses moqueries. Les soubresauts du monde ne lui étaient cependant pas étrangers. Notamment quand ils provenaient du Maghreb, où il comptait beaucoup d’amis, et du Proche Orient, « où il ne faut pas faire dire aux mots plus que ce qu’ils signifient », avait-il écrit un jour de 2005, dans un éditorial percutant du Figaro. L’interminable conflit israélo-palestinien « devrait faire honte au monde », avait-il conclu dans ce même envoi. Cet amateur de bons mots et de belles formules pouvait aussi être inspiré par les choses de la vie, qu’il regardait avec un regard décalé et décrivait avec un ton caustique.
Une cigarette toujours collée aux lèvres, Michel Schifres était doué d’une curiosité insatiable. Le verbe rare, le regard perçant, il assistait au spectacle de l’actualité avec le faux air du journaliste à qui on ne la fait pas, moitié blasé moitié dilettante. Il n’en était rien, bien sûr. C’était un passionné. Il aimait plus que tout connaître le moindre détail d’un événement, le dessous des cartes d’une élection, l’envers du décor d’une institution. Outre ses articles, les quelques livres qu’il a écrits témoignent de ce goût pour savoir « le pourquoi du comment ».
Avec son confrère Michel Sarazin, du Journal du dimanche, Michel Schifres explorait l’antre de Mitterrand, là où se jouait le destin de la France après le fameux « tournant de la rigueur »En 1972, il publiait La CFDT des militants (Stock), une plongée dans le syndicat que dirigeait depuis peu Edmond Maire. Cette figure populaire de la « deuxième gauche » dit un jour, pour en critiquer le principe, que la grève relevait d’une « vieille mythologie syndicale ». Est-ce sa date de naissance, un 1er mai, jour de la fête du Travail, qui incita Michel Schifres à s’intéresser à l’action de cette centrale réformiste ? Viendra, treize ans plus tard, L’Elysée de Mitterrand (édition Alain Moreau), sous-titré Secrets de la Maison du Prince. Avec son confrère Michel Sarazin, du Journal du dimanche, Michel Schifres explorait cette fois l’antre du monarque socialiste, là où se jouait le destin de la France après le fameux « tournant de la rigueur ». En 1987, Enaklatura (JC Lattès) était un voyage amusant, truffé de témoignages d’anciens élèves, dans la grande école française la plus décriée. En 2005, il a participé à L’Etat quand même (Odile Jacob), ouvrage signé par l’ancien haut fonctionnaire Raymond-François Le Bris sur la nécessaire réforme de la « machine » publique française. Vingt ans après, nous y sommes encore !
Originaire d’Orléans, Michel Schifres était venu à Paris pour suivre les cours du Centre de Formation des Journalistes (CFJ). Il en était sorti major alors qu’il avait dû s’y prendre à deux fois pour obtenir son baccalauréat. Avec sa première épouse, ils donneront naissance à Lucas, devenu un photographe reconnu, et Blaise. Il s’était remarié avec Marie-Ange Horlaville, emportée par le coronavirus, début 2022. Avec elle, ils ont beaucoup voyagé. Ils passaient leur été en Corse et adoraient se ressourcer en fin de semaine à Trouville. Non sans être toujours accompagnés de leurs deux chats, Dostoïevski et Nostradamus !
La rédaction et tous les services du Figaro présentent à la famille, aux enfants, petits-enfants et proches de Michel Schifres leurs condoléances les plus sincères.