Russie : la fuite de documents secrets révèle la modernisation des capacités nucléaires de Moscou

Russie : la fuite de documents secrets révèle la modernisation des capacités nucléaires de Moscou

Tir de missile intercontinental russe RS24-Iars, le 19 février 2022. HANDOUT / AFP

Une enquête publiée ce mercredi comportant des centaines de plans détaillés d’infrastructures montre les efforts d’innovations menés par Moscou pour renforcer son arsenal stratégique, en pleine guerre d’Ukraine.

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Y a-t-il eu une faille dans les services de sécurité russes ? Le quotidien allemand Der Spiegel et le média danois Danwatch ont dévoilé ce mercredi 28 mai une enquête comportant des centaines de plans détaillés d’infrastructures nucléaires terrestres. Celle-ci porte sur le complexe militaire situé à proximité de la petite ville de Yasny, perdue dans les steppes du sud de l’Oural, où la Russie déploie un important chantier de modernisation de son arsenal stratégique.

Il s’agit de l’un des 11 sites à partir desquels Moscou peut tirer des missiles à longue portée pouvant porter des têtes nucléaires. À travers des photographies aériennes, le document montre les importants efforts de modernisation et de sécurisation des lieux effectués depuis une dizaine d’années. Tous les anciens bâtiments ont été pratiquement rasés, et le site est désormais ceinturé de trois couches de clôtures électriques, d’un important système de défense antiaérienne ou d’un réseau complexe de souterrains. Sur zone, plus de trente «silos» de missiles (bases souterraines de lancement, NDLR), capables de frapper l’Europe centrale «en moins de dix minutes». À la différence des armes nucléaires tactiques (ANT), de faible portée et destinées à être utilisées sur le champ de bataille, ces armes nucléaires stratégiques sont constitutives de la dissuasion, et sont capables de ravager des agglomérations entières grâce à leur transport par missiles intercontinentaux. En plus de sa capacité de tir depuis la terre, la Russie est capable de tirer des missiles depuis la mer et dans les airs. Cette dissémination de son arsenal est une qualité nécessaire à sa capacité de frappe en riposte dans le cas d’une attaque sur son territoire.

Fuite de 2 millions de documents

Les journalistes révèlent des photos des plans de l’intérieur des bâtiments, dont l’accès aurait été rendu possible par une brèche dans la sécurité russe, qui aurait entraîné la fuite de plus de deux millions de documents. Selon eux, celle-ci serait la conséquence du partage de documents sensibles par des entreprises russes depuis la nouvelle base de données créée par le ministère de la Défense à la fin de l’année 2020. «Avec l’aide de ces dessins uniques, nous pouvons maintenant pénétrer pour la première fois à l’intérieur de ces bâtiments», constate au Spiegel Hans M. Kristensen, expert des armes nucléaires. «C’est absolument incroyable. Ces recherches sont les plus approfondies sur la structure de ces installations que j’ai vues dans le domaine public», ajoute-t-il. L’enquête comporte des modélisations en 3D réalisées à partir de ces plans, permettant au lecteur de se représenter l’aménagement complexe de ces silos. «Chaque base de silo a été considérablement améliorée. Autrefois, il ne s’agissait que d’un petit couvercle de silo sur le sol au milieu de la prairie. Mais maintenant, ce sont de grandes bases qui ont beaucoup plus d’infrastructures et beaucoup plus de sécurité », précise dans l’enquête Tom Roseth, directeur d’études à l’école d’état-major de l’armée norvégienne, spécialiste de la sécurité russe. D’après l’enquête, les bases de Kozelsk et d’Uzhur sont également en cours de transformation.

Cette découverte pourrait être l’une des plus importantes de ces dernières années concernant la première puissance nucléaire mondiale, qui détient quelque 4400 ogives. En mars 2018, Vladimir Poutine avait prononcé un discours dans lequel il annonçait le renforcement et la modernisation de l’arsenal nucléaire russe, afin de prendre de l’avance sur l’Occident. L’année suivante, le site de Yasny se voyait équipé du véhicule de planeur hypersonique Avangard, un nouveau système de lancement nucléaire. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le chef du Kremlin a plusieurs fois laissé planer le spectre de la menace nucléaire. Moscou n’a pas encore commenté ces révélations.