Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), institut associé à la Cour des comptes, vient de glisser sous le sapin ses six recommandations sur la fiscalité des jeux d’argent et de hasard. Mais ni les joueurs, ni les opérateurs ne considéreront cette «note n°10» d’une trentaine de pages comme un cadeau, et pour cause : le CPO y propose, entre autres, d’établir des prélèvements sur les gains des joueurs et sur les dépenses promotionnelles des opérateurs, jusque-là à l’abri des impôts et charges sociales.
Ces travaux interviennent dans la foulée des débats sur le budget 2025 et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, lors desquels de nombreux amendements avaient été déposés pour augmenter les prélèvements pesant sur cet écosystème des jeux d’argent et de hasard (JAH). Ces menaces de taxation avaient fait plonger la Française des Jeux en Bourse, amené des centaines de professionnels de la filière du cheval à manifester dans les rues de Paris et suscité une levée de boucliers dans le monde du sport. Avortées par la censure du gouvernement de Michel Barnier, les initiatives sont jugées prometteuses mais insuffisantes par le CPO, qui suggère d’aller encore plus loin, par soucis de cohérence vis-à-vis des objectifs de l’État en matière de contrôle des JAH.
À lire aussi Les paris sportifs en ligne tirent le secteur des jeux d'argent
Une fiscalité élevée mais «justifiée»
Les JAH – loteries, paris hippiques et sportifs, jeux de table, machines à sous – font déjà l’objet d’une fiscalité «spécifique» qui s’additionne aux impositions de droit commun. Elle est très élevée, à hauteur de 45% du produit brut de jeu (PBJ), celui-ci étant la différence entre les mises collectées par les opérateurs et les gains reversés aux joueurs. Elle a rapporté 7 milliards d’euros de recettes en 2023. Cette fiscalité est «justifiée», car les JAH sont une activité économique «atypique», interdits «en principe», mais «par exception, strictement encadrés», soulignent les auteurs. Ils pointent notamment du doigt les «effets indésirables» de ces jeux, comme le risque d’addiction et la criminalité.
À lire aussi Contre un projet de taxation des paris hippiques, la filière manifeste à Paris
Alors que les JAH attirent chaque année davantage de joueurs, 6% d’entre eux ont «une pratique problématique», qui se traduit par un jeu compulsif, des difficultés financières ou des conséquences sur la santé mentale. D’où la nécessité pour l’État de «limiter l’offre». Les auteurs soulignent également que les revenus des opérateurs de jeux s’apparentent à une «rente», en ce qu’ils interviennent sur des marchés régulés et très faiblement concurrentiels, parfois même en situation de monopole légal. La fiscalité élevée permet de capter une partie de cette rente.
Dissuader la publicité
En pratique, le Conseil suggère d’abord de mettre en place un prélèvement sur les dépenses promotionnelles des opérateurs de jeux. La réglementation ne suffit plus, et la fiscalité est le seul moyen, selon les auteurs, de «dissuader la publicité». Les dépenses promotionnelles sont jugées «excessives». Surtout, elles visent régulièrement les jeunes et les profils aux «comportements problématiques». Dans son PLFSS, le gouvernement Barnier avait proposé l’introduction d’une contribution de 15% sur les dépenses de publicité et de sponsoring. Le CPO soutient ce principe mais regrette que l’assiette ne prenne pas en compte les dépenses de gratifications, comme les bonus accordés aux joueurs, qui représentaient 58% des dépenses de marketing en 2022. Il suggère aussi un taux plus élevé pour «un effet réellement dissuasif».
À lire aussi Comment la privatisation de la FDJ a réconcilié les Français avec la Bourse
Deuxième mesure forte préconisée par le CPO : la taxation des gains des joueurs. Ceux-ci ne sont pas ou peu assujettis à des prélèvements sociaux, et ne sont pas imposés en tant que revenus. Plusieurs pays européens comme l’Espagne, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse ont pourtant franchi le pas et taxent les gains issus des JAH à des taux variables. En France, ils n’ont jamais été considérés comme des revenus par le Conseil d’État, qui juge qu’il n’y a pas d’«intervention personnelle et directe» du joueur permettant de «réduire l’aléa». Dans les faits, seuls les gains des joueurs professionnels de poker et de bridge, dont la pratique est «habituelle», sont considérés comme des revenus, et donc imposables à ce titre. Une incohérence, critiquent les auteurs, qui comparent les gains issus des JAH à ceux des opérations boursières, soumis à l’impôt.
Réaffecter les recettes fiscales à la Sécurité sociale
Par ailleurs, le CPO note que «l’exonération des gains constitue un signal favorable au jeu, que ne manquent pas de mettre en avant les opérateurs de jeu dans les publicités». Et cite une enquête France Stratégie de 2017, selon laquelle l’imposition des gains aurait une «acceptabilité relativement élevée» parmi la population. Une légitimité qui lui enjoint à proposer au législateur d’assujettir à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux «les gains de jeux d’argent et de hasard nets des mises engagées», une nouvelle assiette qu’il estime à au moins 1 milliard d’euros par an. Les tout petits gains ne seraient toutefois pas concernés. «Afin de faciliter la gestion fiscale, les impôts pourraient n’être dus que sous réserve que le gain net annuel excède un seuil à fixer par la loi, qui pourrait être de l’ordre de 500 euros», précise le Conseil.
À lire aussi Un gros lot de 20 millions d’euros à gagner au loto pour Noël
Outre ces nouvelles mesures de taxation, le CPO recommande de simplifier et réorganiser la fiscalité existante. Elle se décompose en pas moins de 33 prélèvements épars qui constituent «un ensemble illisible», avec «des règles différentes de taux, d’assiette et d’affectataire, éparpillées entre trois codes différents et dans des lois non codifiées». D’où la nécessité de fusionner la grande majorité de ces prélèvements en une taxe unifiée sur le PBJ des opérateurs. À quel taux ? Le CPO note que les taux actuels «n’obéissent pas à des critères cohérents, intelligibles et pertinents». Par exemple, les paris sportifs ont un taux d’imposition parmi les plus bas alors qu’ils «sont aussi les jeux les plus prisés des mineurs». Il s’agit donc de faire dépendre le taux de chaque catégorie de jeu des «effets négatifs et de la rente de monopole ou d’oligopole dont bénéficient les opérateurs».
Enfin, le Conseil recommande d’affecter la quasi-totalité des prélèvements à la Sécurité sociale, contre moins de 23% à l’heure actuelle (l’État en capte 77%). Cette nouvelle affectation «n’est source d’aucune difficulté», car la fiscalité sur les jeux d’argent et de hasard «est en partie justifiée par leurs conséquences sur la santé publique». Et si c’était ça, le remède au fameux «trou de la Sécu» ?