Chute de Bachar el-Assad : les rebelles ont libéré la prison de Saidnaya, «abattoir» des opposants au régime

«Fin de la tyrannie à la prison de Saidnaya», a écrit ce dimanche sur Telegram le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), ancienne branche syrienne d’al-Qaida et groupe le plus important dans la coalition qui a fait tomber Bachar el-Assad, dictateur au contrôle du pays depuis 2000, à l’issue d’une offensive fulgurante. Quelques heures plus tôt, les rebelles avaient en effet annoncé s’être emparés de cet établissement pénitentiaire, symbole des pires exactions commises par le régime syrien situé à une trentaine de kilomètres de Damas, la capitale, elle aussi tombée entre leurs mains.

Dans le flot nourri des vidéos montrant des civils en liesse célébrant la fin de cinq décennies de règne du clan Assad, de nombreux extraits décrivent la libération de prisonniers d’étroites geôles sombres, agrémentés d’une légende : «Saidnaya n’est plus».

Sur les extraits de ces vidéos, les prisonniers claudiquent, amaigris, et remercient Dieu. Quatre détenus, parvenus à rejoindre Damas au matin, racontent qu’ils faisaient partie des 54 personnes qui devaient être exécutées à l’aube, selon un témoignage publié par le média Al-Siyassa. Ils ont eu la vie sauve grâce à la libération de la prison. 

Ratisser les sous-sols

D’autres captifs sont encore recherchés. Ce lundi, la Défense civile syrienne a annoncé l’envoi de plusieurs équipes de Casques blancs qui seront en charge de ratisser les sous-sols secrets de la prison. «Les équipes comprennent une équipe de recherche et de sauvetage, une équipe spécialisée dans le perçage de trous dans les murs, une autre équipe dans l’ouverture des portes en fer, en plus d’une équipe de chiens dressés et une équipe d’ambulances médicales»détaille Syria TV, une chaîne privée d’information syrienne basée en Turquie.

Toujours selon ce média créé en 2017, «les familles des détenus ont appelé les organisations internationales à intervenir le plus rapidement possible pour sauver leurs enfants, “surtout après que les générateurs qui acheminaient l’air [aux sous-sols] ont cessé de fonctionner en raison du manque d’approvisionnement électrique”»

20 à 50 exécutions par semaine

Saidnaya, construite en 1987, était utilisée par le pouvoir pour emprisonner les opposants politiques. Un rapport d’Amnesty International daté de 2017 décrivait déjà cette prison comme un «abattoir humain». L’ONG s’était à l’époque appuyée sur 84 témoignages, récoltés auprès d’anciens détenus, d’ex-gardiens, juges ou médecins qui avaient participé à ce sinistre système. D’après cette enquête, 20 à 50 personnes étaient exécutées chaque semaine sur une période allant de septembre 2011 à décembre 2015. Entre ces deux dates, le nombre total de victimes est estimé entre 5000 et 13.000. Un bilan plus récent communiqué par l’Association des détenus et des disparus de la prison estime à plus de 30.000 le nombre de prisonniers exécutés entre 2011 et 2018.

Selon Amnesty International, la prison est divisée en deux blocs. Le premier, bâtiment blanc en forme de L, recèle les soldats suspectés d’avoir été déloyaux envers le gouvernement. Le second bloc, de couleur rouge, forme une sorte d’étoile à trois branches : c’est là que sont parqués les civils opposants au régime, provenant de tous les secteurs de la société. Un ancien garde cité par le rapport décrit cette bâtisse comme «la principale prison politique de Syrie»

Selon l’Association des détenus et des disparus de la prison de Saidnaya, plus de 30.000 prisonniers ont été exécutés entre 2011 et 2018. HANDOUT / AFP

À l’intérieur, les tortures sont légion, poursuit le document. Saidnaya serait «un camp de la mort où Bachar El Assad extermine tous ceux qui se sont révoltés contre lui», décrivait d’ailleurs Diab Serriya, syrien rescapé de ces geôles, interrogé par Envoyé Spécial  en 2018. Dès leur arrivée, les prisonniers subissent un passage à tabac en règle, parfois mortel. Ils sont ensuite regroupés en cellule et doivent y désigner un «chef», chargé ensuite de désigner lequel de ses codétenus devait endurer la torture, sous peine de devoir lui-même la subir. 

«À Saidnaya, la torture n’est pas utilisée pour forcer un détenu à “avouer”, comme c’est le cas dans les services des forces de sécurité, mais plutôt comme une méthode de punition et de dégradation», précise à ce titre le rapport. Ce dernier cite pêle-mêle des règles de conduite absurdes pour les prisonniers qui doivent se placer à genoux face au mur, les mains sur les yeux, lorsque les gardiens arrivent, les violences et les humiliations quotidiennes, l’eau et la nourriture, distribuées très épisodiquement, répandues à même des sols déjà souillés.

Fosses communes

Selon Amnesty, la prison de Saidnaya est également un lieu d’exécutions collectives. Ces dernières avaient généralement les lundis et mercredis soir. Les prisonniers subissent un simulacre de procès, d’une à trois minutes, avant d’être presque toujours déclarés coupables et condamnés à mort par pendaison ou à la perpétuité : «lls les laissent [se balancer après avoir été pendu] pendant 10 à 15 minutes, raconte un ancien juge qui a assisté aux exécutions. Certains ne meurent pas parce qu’ils sont légers. Surtout les jeunes, car leur poids ne suffit pas pour les tuer. Des assistants les détachent alors et leur brisent la nuque.»

Les corps des victimes sont placés dans des camions surnommés les «frigos à viande» et les docteurs sont tenus d’établir un certificat de décès assurant que le détenu est mort d’une crise cardiaque. «La cause réelle de leur mort est en réalité difficile à déterminer tant les corps sont totalement détruits, témoignait un médecin auprès de l’ONG. Au début, ils avaient des blessures dues à l’électricité, à des brûlures, à des coups. Ils avaient des bras et des jambes cassées. Nous avons ensuite commencé à recevoir nombre de morts causées par la diarrhée et des maladies de peau. Ils mourraient de la gale ou de la tuberculose.» Les corps étaient ensuite enterrés dans des fosses communes.