Les premières images spectaculaires du Vera Rubin, le télescope que tous les astronomes attendaient
Depuis dix ans, quel que soit le domaine de l’astronomie que vous abordiez, une petite musique revenait systématiquement dans la bouche des astronomes : «avec le LSST, nous devrions enfin pouvoir répondre à cette question». Derrière cet acronyme, il fallait comprendre «Large Survey Synoptic Telescope»,le nom de ce qui allait devenir l’Observatoire Vera Rubin (célèbre astronome américaine dont les observations ont joué un rôle clé dans la découverte de la matière noire) et dont les premières images ont été dévoilées ce lundi. Depuis, l’acronyme est resté mais a changé de signification. Il désigne désormais le relevé astronomique global qui sera effectué par le Vera Rubin : le Legacy Survey of Space and Time.
S’il observe le ciel depuis avril, le télescope est encore en cours d’étalonnage. Les images de «première lumière» diffusées ce lundi correspondent à des données prises en mai. Elles permettent de donner une petite idée de la qualité de l’optique et de la largeur de champ pour les spécialistes, sachant que ce dernier est au moins 10 fois plus large que l’image ci-dessous !
«Les performances globales sont excellentes, mais il reste encore des petites choses à régler», explique Johan Brégeon, chargé de recherche CNRS au Laboratoire de physique subatomique et cosmologie de Grenoble, responsable scientifique de la collaboration française au télescope (Rubin-LSST France). Si la mise au point, une partie cruciale du processus, a été incroyablement rapide, les ingénieurs ont dû faire face à un petit problème de refroidissement des capteurs. «Paradoxalement, c’est quand il fait froid que nous avons des problèmes, car le liquide réfrigérant ne circule pas bien, explique le chercheur français. Nous équipons actuellement les canalisations de couvertures chauffantes pour régler ce problème.» Rien d’alarmant à ce stade car le télescope fonctionne déjà aux performances exigées par le cahier des charges. «Mais nous savons que nous pouvons faire mieux, nous voulons pousser l’instrument au meilleur de ses capacités», promet Johan Brégeon. Il reste encore quelques mois pour ces peaufinages, le grand relevé automatique devant démarrer en octobre.
Le Vera Rubin sera alors en mesure d’effectuer une carte complète du ciel austral en seulement trois jours, en allant débusquer des objets aussi ténus que les galaxies situées à plus de 10 milliards d’années-lumière de distance. Il est probablement difficile de prendre la mesure de la révolution que cela représente. Le champ de vue du télescope correspond à plus de quarante fois la taille de la pleine lune. C’est 10 000 fois plus grand que celui du télescope spatial Hubble. Et la caméra est si sensible que 30 secondes suffisent pour faire une image qui aurait pris plusieurs heures au moins à l’observatoire spatial. C’est aussi incroyable que cela en a l’air.
Pour prendre une comparaison picturale, vous aviez accès avec difficulté avec Hubble à quelques millimètres carrés de l’arrière-plan de la Joconde. Avec Vera Rubin, vous verrez non seulement l’intégralité du tableau, mais vous en auriez en plus une nouvelle image complète tous les trois jours, vous permettant de traquer son évolution dans le temps.
1,25 milliard de dollars
«L’objectif est d’établir un catalogue de 20 milliards de galaxies», précise Johan Brégeon. C’est à peu près 100 fois plus que les meilleurs relevés actuels, et comparable à ce que le télescope spatial européen Euclid est en train de réaliser. «Les deux relevés sont très complémentaires», souligne le chercheur. Euclid a en effet l’avantage d’être dans l’espace, ce qui lui permet d’avoir accès aux deux hémisphères, mais il va éviter toutes les zones du ciel qui sont saturées de lumière d’avant-plan : la Voie lactée, les nuages de Magellan et le plan de l’écliptique (notre Système solaire) - soit les deux tiers de la voûte céleste. Le Vera Rubin, lui, n’esquive rien. Cela en fait un observatoire bien plus complet, qui devrait notamment découvrir des millions d’astéroïdes.
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Derrière ces innovations, il y a une optique de dernière génération, extrêmement compacte, et un plan focal hypersensible gigantesque de 3,2 milliards de pixels. «Et on ne parle pas des pixels de votre appareil photo, mais de pixels de qualité astronomique, c’est-à-dire d’une sensibilité et d’une fidélité sans commune mesure», précise Johan Brégeon. Six filtres de couleur interchangeables permettent de couvrir l’intégralité du spectre visible et même un peu plus : un filtre UV, deux filtres dans le proche infrarouge, et trois filtres pour le visible.
Le coût de construction de l’observatoire, principalement porté par les États-Unis, est évalué à 550 millions de dollars, auxquels il faut ajouter 700 millions de dollars de frais d’opération sur dix ans. La participation française est évaluée à 125 millions de dollars (salaires compris), soit 10 % du budget total. « Nos principales contributions sont le “jukebox” qui vient placer les filtres devant l’objectif de la caméra du télescope, des éléments électroniques liés aux capteurs CCD qui constituent le cœur de la caméra du télescope, plusieurs dispositifs liés au calibrage du système, et une partie importante du traitement et du stockage des données », indique Marc Moniez, directeur de recherche CNRS à l’IJCLab, à Orsay, impliqué dans le projet depuis ses débuts. L’observatoire Vera Rubin s’annonce un gigantesque challenge sur ce point, puisqu’il va générer chaque jour pas moins de 20 To (téraoctets) de données (soit l’équivalent de trois années de streaming vidéo).