Kamel Daoud: «Il faut que Boualem Sansal et d’autres écrivains soient soutenus»

« Je ressens beaucoup d’humiliation, de colère, l’envie parfois de ne plus parler d’Algérie», déclare Kamel Daoud, invité du Grand entretien mercredi matin sur France Inter. L’auteur s’est livré à une analyse de la liberté d’expression et d’opinion des écrivains franco-algériens, après l’arrestation le mois dernier de Boualem Sansal et à la suite des plaintes déposées à son encontre après le sacre de son roman sur la guerre civile en Algérie. 

Le gouvernement algérien est-il sensible à la mobilisation internationale ? « Non», répond Kamel Daoud. « Le régime a construit sa survie sur l’idée que le monde entier nous en veut, qu’il y a un complot international », explique l’écrivain avant de comparer son pays d’origine à l’Allemagne de l’Est dans les années 70 : « persécution, écoutes, pression policière »

La chambre d’accusation de la cour d’appel d’Alger doit statuer mercredi 11 décembre sur la demande de remise en liberté de son compatriote. Boualem Sansal a été arrêté mi-novembre à l’aéroport d’Alger. L’auteur de 2084 : la fin du monde, figure de la lutte contre l’islamisme, a été «inculpé, incarcéré et placé sous surveillance médicale». Il est poursuivi sur le fondement de l’article 87 bis du Code pénal algérien pour «atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays» et «complot contre la sûreté de l’État. »

Concernant le sort de son confrère, Kamel Daoud n’est «pas optimiste». Il reconnaît tout de même la nécessité de continuer la mobilisation « parce qu’il faut que Boualem et d’autres écrivains soient soutenus ». Pour lui, l’auteur a pris un risque en retournant en Algérie. Mais « quand on est un exilé, on est toujours tenté par le dernier voyage, celui où on prend les dernières photos, les derniers bibelots. Et le dernier voyage, c’est toujours le plus dangereux. » 

« Vous arrivez dans ce pays, vous voulez parler d’islamisme, on vous dit: “attention islamophobie”. »

Kamel Daoud

En outre, Kamel Daoud, récipiendaire du prix Goncourt 2024, se sent rattrapé par ses racines algériennes, par « les fractures françaises ». Il pointe du doigt certains raccourcis idéologiques: « Vous arrivez dans ce pays, vous voulez parler d’islamisme, on vous dit :“ Attention islamophobie ”, vous voulez parler de l’échec du pays d’origine, on vous dit : “ Vous êtes contre la migration ”, vous voulez parler du rapport au reste du monde, on vous dit : “ Vous ne pouvez pas faire ça, c’est faire le jeu de l’extrême droite ” (...). On est bridé. En Algérie on est accusés d’être français, en France on n’est pas des bons arabes. »

« Il y a une réalité qui n’est pas visible en France », poursuit-il. Avant de préciser: « On reproche à Boualem sa liberté d’opinion. Ces élites de gauches algéroises qui contestent sa liberté de penser, oseront-ils dire la même chose face au prêcheur islamiste qui chaque vendredi répète les mêmes choses, qui ne reconnaissent pas les frontières algériennes ni l’histoire algérienne. Personne n’ose regarder les islamistes dans les yeux et n’ose les contester. » 

« Je me suis dit que le jour du Goncourt ça va être démultiplié par dix. »

Kamel Daoud

Le Goncourt 2024 est , lui aussi, pris dans la tourmente. Depuis plusieurs semaines, Kamel Daoud et son épouse psychiatre sont accusés d’avoir utilisé sans son consentement l’histoire de Saâda Arbane, survivante d’un massacre pendant la guerre civile en Algérie dans les années 1990, pour l’écriture de Houris« Je savais que ça allait venir. Je me suis dit que le jour du Goncourt ça va être démultiplié par dix », explique l’écrivain.

Son livre n’a pas pu être édité en Algérie. Il tombe sous le coup d’une loi interdisant tout ouvrage sur la décennie noire entre 1992 et 2002, qui a fait au moins 200 000 morts, selon des chiffres officiels. « Mon livre, je l’ai écrit, je le réécrirai et j’en écrirai même un quatrième ou un cinquième si j’en ai envie (...) Ce dont je rêve c’est qu’on abroge l’article 46 qui interdit de parler de la guerre civile. (...) Je suis comme tous les Algériens : très fier. J’aurais voulu que mon pays répare son histoire passée.»