«Le texte actuel n’est pas à la hauteur des enjeux de l’énergie, d’une importance extrême pour la France et ses citoyens» : le ton est donné. Dans un avis publié le 8 avril, l’Académie des sciences étrille la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) que le gouvernement s’apprête à entériner par décret. Ce document stratégique, qui fixe la trajectoire énergétique du pays pour 2025-2035, est jugé «peu rigoureux», «incohérent» et déraisonnablement favorable aux énergies renouvelables.
Incohérence dans les chiffres, tout d’abord. Dénonçant un «manque de rigueur» qui provoque «des incertitudes multiples», l’Académie souligne son incompréhension des calculs du gouvernement, par exemple sur la consommation d’électricité prévue pour les années à venir. «Parmi les valeurs de 429,508 ou 600 TWh, quel est réellement le niveau de consommation visé pour 2035 ?», s’interroge-t-elle. Une question d’autant plus cruciale que la PPE3 est accusée de surestimer les besoins en électricité de l’Hexagone. «Le projet affiche pour 2035 des objectifs de production de 666-708 TWh», une projection «clairement excessive», souligne l’avis, alors que la consommation électrique française ne cesse de baisser, passant de 480 TWh, en 2017, à 449 TWh en 2024. Résultat : le scénario proposé créerait «des surcapacités considérables, coûteuses et inutiles», avec un excédent d’offre «dépassant les 100 TWh», s’alarme l’Académie. L’avis suggère donc au gouvernement de refaire ses calculs, estimant que ce document «n’a pas non plus le niveau de rigueur attendu d’une production des services de l’État».
À noter cependant que cette analyse est contredite par d’autres, comme celle menée par RTE. Le gestionnaire du réseau électrique français prévoit, au contraire, une électrification des usages, ainsi qu’une consommation d’électricité en hausse de 40%, d’ici 2035, qui doit accompagner de nouveaux usages et permettre de sortir des énergies fossiles.
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La place belle au renouvelable
Autre critique majeure : la place accordée aux renouvelables (EnR), jugée irréaliste. La PPE3 mise en effet sur une augmentation massive du solaire et de l’éolien, dont la production passerait de 73 TWh en 2023 à 254-274 TWh en 2035. Une orientation risquée, selon l’Académie, qui rappelle le caractère «intermittent» et «non pilotable» de ces sources d’énergie, introduisant une «volatilité accrue des prix de l’électricité». «Cette évolution entraînerait des surcapacités considérables, coûteuses et inutiles, générant un excédent d’offre par rapport à la demande dépassant les 100 TWh, et surtout un taux excessif de production d’électricité non pilotable proche de 40%», note l’avis.
À la place, l’Académie défend une «production nucléaire substantielle (360-400 TWh), source d’énergie bas-carbone de stock, à la fois massive et pilotable». Elle plaide également pour le «maintien des objectifs de construction de nouveaux réacteurs EPR». Quant à l’énergie décarbonée, sa montée en puissance doit suivre «le même rythme que celui de l’électrification des usages», ni plus, ni moins. Un choix qui ne compromettrait d’ailleurs en rien la transition écologique. «Atteindre une production électrique totalement décarbonée ne requiert nullement une augmentation massive des énergies éolienne et solaire», rappelle l’Académie, soulignant qu’avec seulement 21,3 g CO2eq émis par kWh, le système électrique français est déjà parmi les plus propres au monde.
L’Académie sera-t-elle entendue par l’État ? Celle-ci semble en douter : dans son avis, elle souligne que les rédacteurs de la PPE «ont accordé bien peu de considération aux nombreux avis formulés lors de la consultation publique». La version révisée après la consultation publique, qui vient de s’achever, «reste, pour l’essentiel, identique à la version initiale», regrettent les experts. Nul doute, cependant, que les critiques formulées alimenteront le débat prévu au Parlement sur la PPE fin avril, comme l’avait annoncé le premier ministre, François Bayrou.