Gaza : que sait-on de ces images de Palestiniens dénudés arrêtés par l'armée israélienne ?
Que s'est-il passé à Beit Lahia, dans la bande de Gaza, ce jeudi 7 décembre ? Plusieurs photos de Palestiniens arrêtés et mis à nu par l'armée israélienne dans cette ville du nord de Gaza ont commencé à circuler en début d'après-midi.
Vers 14h, une chaîne Telegram israélienne, qui compte près de 270 000 abonnés, a notamment publié plusieurs photos et vidéos de la scène en affirmant qu'elles montraient "des dizaines de terroristes du Hamas [qui] se sont rendus à Tsahal". De nombreux comptes pro-palestiniens se sont de leur côté émus de ces scènes de détention.
Des images de Palestiniens les yeux bandés et dénudés
Que montrent ces images ? Sur l'une des photos, plus d'une dizaine de Palestiniens se retrouvent agenouillés en sous-vêtements sur le trottoir d'un carrefour, encadrés par l'armée israélienne. Une vidéo de 20 secondes filmée au même endroit montre des dizaines d'autres prisonniers disposés en rangs dans la rue.

Un autre cliché montre deux camions sur une route emportant des dizaines d'entre eux. Sur une autre photo encore, des prisonniers palestiniens, toujours en sous-vêtements et encadrés par l'armée israélienne dans une zone entourée de sable, sont visibles agenouillés et les yeux bandés.

Comme plusieurs autres comptes, la chaîne Telegram israélienne a déclaré à tort que la scène se passait à Khan Younès au sud de Gaza, présenté par Israël comme un fief de chefs du Hamas et scène des combats entre l'organisation palestinienne et l'armée israélienne depuis début décembre.
Car la scène se déroule en réalité à Beit Lahia, au nord de Gaza, comme l'a indiqué le collectif de géolocalisation Geoconfirmed. Les images du carrefour montrent en effet la devanture d'une pharmacie, située dans cette ville du nord de Gaza dans la rue du Marché, comme l'indique sa page Facebook et comme on peut le voir sur une photo de la page Facebook de la municipalité de la ville.

Plusieurs internautes pro-israéliens dans des chaînes Telegram et sur X (dont un tweet vu plus de 5,5 millions de fois) ont par ailleurs affirmé que ces personnes arrêtées étaient des "combattants du Hamas qui se sont rendus aux forces israéliennes".
En Israël, des médias comme N12 et Times of Israel ont aussi rapporté que ces détenus pourraient être respectivement des "terroristes" ou des "suspects du Hamas".

Le porte-parole de l'armée Daniel Hagari a toutefois indiqué à Reuters : "Nous enquêtons et vérifions qui est lié au Hamas et qui ne l'est pas, nous les détenons et les interrogeons tous".
Un porte-parole du gouvernement israélien a aussi déclaré à la BBC que ces hommes étaient tous en âge de servir dans l'armée et qu'ils avaient été "découverts dans des zones que les civils étaient censés avoir évacué depuis des semaines".
Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, l'armée israélienne n'a pas encore répondu à nos demandes de précision sur le contexte de ces arrestations.
Un journaliste arrêté
Si l'armée a bien demandé au million d'habitants du nord de Gaza d'évacuer vers le sud depuis octobre, de nombreux civils sont toutefois demeurés dans la zone.
Des témoins de la scène assurent que les hommes sur les photos ne se sont pas rendus, mais sont des civils arrêtés par l'armée. Ces témoins ont par ailleurs dénoncé l'arrestation de mineurs et d'un journaliste, et ont assuré que les personnes interpellées n’avaient rien à voir avec le Hamas. Il n'est pas possible de vérifier indépendamment cette dernière affirmation.
Hani Almadhoun, directeur de la philanthropie à l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) aux États-Unis, a notamment annoncé sur sa page Facebook et auprès de la chaîne américaine ABC que quatre de ses proches, dont un enfant de 13 ans, avaient été faits prisonniers par l'armée israélienne.
Certains internautes ont aussi fait état d'arrestations de membres de l'UNRWA, donnant une liste de noms de personnes censément interpellées. Contactée par notre rédaction, l'UNRWA a toutefois indiqué “ne pas avoir trouvé de correspondance dans son registre du personnel” avec ces noms.
Le jour-même, le média anglophone spécialisé sur l'actualité du Moyen-Orient The New Arab a aussi dénoncé l'arrestation d'un de ses correspondants, le journaliste Diaa Al-Kahlout.
"Les forces israéliennes à Gaza ont arrêté le journaliste Diaa Al-Kahlout, correspondant du service arabe du New Arab, ainsi que d'autres personnes, dont ses proches", a expliqué le média dans un article publié le 7 décembre, précisant ne pas avoir encore eu de nouvelles de son correspondant.
Le Committee to Protect Journalists (CPJ) a aussi demandé à "libérer immédiatement" le journaliste, dès les premières révélations sur son arrestation. Selon l'article du New Arab, la sœur de Diaa Al-Kahlout a déclaré que son frère avait été contraint, sous la menace d'une arme, de quitter sa fille handicapée de sept ans.
"L'armée est allée de porte en porte, de maison en maison"
Un témoignage concordant avec celui reçu par la rédaction des Observateurs de France 24, qui a pu entrer en contact avec un journaliste de la Deutsche Welle présent à Gaza, Mohammad Al Kahlout, issu de la même famille que le journaliste de The New Arab, Diaa Al Kahlout.
Originaire de Beit Lahia mais actuellement déplacé à Rafah, Mohammad Al Kahlout a déclaré sur Facebook que l'armée israélienne avait arrêté plusieurs de ses proches.
Ce dernier a aussi partagé auprès de notre rédaction des messages vocaux de sa cousine qui a assisté à la scène et raconte que l'armée israélienne est venue chercher ces prisonniers directement chez eux.
"L'armée est allée de porte en porte, de maison en maison et faisait sortir les habitants", raconte-t-elle dans ce message vocal. "Ensuite, les soldats tapaient aux portails avec la crosse du fusil" ajoute-t-elle. Elle précise aussi que les soldats interpellaient uniquement les hommes et "les ont obligés à se dénuder", avant de les faire sortir dans la rue, comme le montrent les images.
De premiers prisonniers libérés
Vendredi 8 décembre en début d'après-midi, la BBC a indiqué dans un article que de premiers prisonniers avaient été libérés.
Le directeur de la philanthropie à l'UNRWA aux Etats-Unis, Hani Almadhoun a aussi communiqué le 8 décembre en fin de matinée sur la libération de ses proches.
Le journaliste Mohammad Al Kahlout a lui indiqué à France 24 que trois de ses cousins ont aussi été libérés au matin du 8 décembre. Ce vendredi soir, ce dernier a précisé que son oncle, ses frères et le reste de ses cousins étaient encore en détention.
À l'heure où nous publions ces lignes, aucune annonce de libération concernant le journaliste Diaa Al Kahlout n'a été faite.
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