Dominique Chagnollaud est président du Cercle des constitutionnalistes et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il livre au Figaro son analyse de la crise politique actuelle.
LE FIGARO . - Le concept de « démission forcée » du président de la République existe-t-il sur le plan constitutionnel ?
Passer la publicitéDominique CHAGNOLLAUD .- La démission « forcée » est de nature politique. Le droit constitutionnel ne connaît que l’empêchement ou la destitution d’un président, qui demeure largement irresponsable politiquement alors qu’il est le principal responsable politique. La première cause possible est, outre le décès, l’empêchement définitif du chef de l’État prévu à l’article 7 de la Constitution, une situation constatée par le Conseil constitutionnel saisi par le gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres : la cause n’est pas définie mais on pense à une maladie grave, un enlèvement, une disparition, un cas de démence, un scandale, un comportement indigne… Tout ce qui pourrait le rendre incapable d’exercer ses fonctions. Dès lors le scrutin pour l’élection du nouveau président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l’empêchement.
Qui assure l’intérim ?
Durant la période de vacance de la présidence qui s’écoule entre la déclaration du caractère définitif de l’empêchement du président de la République ou de sa destitution et l’élection de son successeur, il revient au président du Sénat d’assurer l’intérim, le gouvernement ne pouvant être renversé ni la Constitution révisée. La deuxième hypothèse concerne ainsi la destitution, prévue à l’article 68 de la Constitution.
Comment cette destitution peut-elle être prononcée ?
À la suite d’un vote à la majorité des deux tiers des membres de chaque assemblée, puis par les deux assemblées réunies en Haute Cour, en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». On est dans la subjectivité la plus totale. Cela peut concerner, par exemple, un crime ou un délit grave, ou encore une violation de la Constitution. Cette procédure est délibérément complexe et difficile à mettre en œuvre. D’ailleurs, la proposition lancée par les députés « Insoumis » n’a pas été déclarée recevable par le bureau de l’Assemblée nationale. Les mélenchonistes et leurs alliés ont estimé que « l’absence de nomination d’un premier ministre issu de la force politique arrivée en tête aux élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024 » constituait un manquement manifestement incompatible avec l’exercice des fonctions de président de la République, mais cette incrimination est nécessairement trop floue.
Passer la publicitéQuelles conditions doivent être réunies pour provoquer une telle destitution présidentielle ?
La procédure résultant de la loi constitutionnelle du 23 février 2007, n’est pas une peine destinée à réprimer une infraction pénale comme aux États-Unis et laisse aux membres du Parlement la responsabilité de définir ce qu’est un « manquement manifestement incompatible » avec la fonction présidentielle. Cet objet est aussi imprécis que l’ancienne qualification de « haute trahison ». L’article 68 de notre Constitution prévoit ainsi une majorité des deux tiers, cette majorité devant être atteinte dans chacune des deux assemblées parlementaires pour provoquer la réunion de la Haute Cour, puis à nouveau au sein du Parlement lui-même réuni en Haute Cour. La destitution ne peut ainsi trancher un simple désaccord politique entre le chef de l’État et le Parlement.
Quels précédents historiques permettent d’éclairer cette question de la démission du chef de l’État ?
La démission peut émaner de la propre initiative du chef de l’État. Il peut ainsi lier son mandat au résultat d’une consultation nationale. Tel fut le cas en octobre 1962, comme lors du référendum d’avril 1969, du général de Gaulle. Il avait conditionné son maintien au pouvoir à la victoire du oui, engageant sa responsabilité politique qui entraîna son départ après la victoire du non en 1969. La démission peut être forcée et résulter de l’ignorance par le chef de l’État du résultat des urnes. C’est Charles X qui, par une énième dissolution d’une chambre qui lui est défavorable, le 25 juillet 1830, provoque le retour des libéraux et finira chassé par la rue, en désignant sans succès son fils, le Dauphin. En République, Alexandre Millerand, élu en 1920 par le parlement, plaide dans son discours d’Évreux le 14 octobre 1923 pour un renforcement de l’autorité présidentielle. Mais en juin 1924, il devra démissionner face au Cartel des gauches qui refuse d’entrer en relation avec lui: c’est la « grève des ministères ». Il en fut de même, du départ imposé par la Chambre en 1879 au Maréchal de Mac Mahon, suite à la dissolution ratée du 16 mai 1877. Gambetta avait indiqué qu’en cas de désaveu politique par le pays, la nécessité « de se soumettre ou de se démettre » s’imposerait. Après s’être soumis, Mac Mahon se démettra deux ans plus tard.
S’il refuse de démissionner, dans quel contexte politique un chef de l’État français peut-il s’arroger les pleins pouvoirs en activant l’article 16 de la Constitution ?
Passer la publicitéL’article 16 n’a été utilisé qu’une seule fois dans l’histoire de la Ve République: par le Général de Gaulle lors du putsch des généraux en Algérie en 1961. Il dispose que « le président de la République prend les mesures exigées » dans certaines circonstances. Ces fameuses « circonstances », sont dûment circonscrites et sous le contrôle du Conseil constitutionnel. C’est de la politique-fiction.
Emmanuel Macron est-il dans une situation inédite ?
Oui, dans la mesure où il ne peut se représenter immédiatement. Mais surtout, il a méconnu le sens de la dissolution voulue avec le Général de Gaulle par le père de la Constitution de 1958, Michel Debré. Dans son discours devant le Conseil d’État le 27 août 1958, il indiquait : « Elle est l’instrument de la stabilité gouvernementale. Elle peut être la récompense d’un Gouvernement qui paraît avoir réussi, la sanction d’un Gouvernement qui paraît avoir échoué. Elle permet entre le chef de l’État et la nation un bref dialogue qui peut régler un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une heure décisive ». Le chef de l’État assure une mission d’arbitrage. À ne pas tirer les conclusions du résultat des urnes, il risque son sort. Dans l’hypothèse d’une nouvelle dissolution, dont n’émanerait aucune majorité même relative, la démission s’imposerait. Et si une majorité RN se dégageait, la cohabitation serait sans doute très dure. En somme, le choix serait entre Mac-Mahon, Millerand ou Charles X. Et, accessoirement, Emmanuel Macron n’a plus de Dauphin.