Philippe Aghion a souvent évoqué le modèle qu’était sa mère, Gaby Aghion. À même pas 30 ans, cette femme bien née qui n’avait jamais travaillé, a lancé une des premières marques de prêt-à-porter pour habiller les femmes de son temps et a notamment découvert Karl Lagerfeld.
Passer la publicité Passer la publicitéLorsqu’en 2020, Philippe Aghion confiait son ambition secrète au Figaro, il évoquait sa mère: « Je n’ai aucun problème avec les riches mais la pauvreté me révolte. Je rêve d’influencer la société, comme ma mère ! » Soit Gaby Aghion, née en 1921 à Alexandrie et disparue en 2014 à Paris. Si son nom ne dit sans doute rien au grand public, la marque qu’elle a fondée en 1952, Chloé, est elle célèbre dans le monde entier. Gaby ne savait pas coudre, ni dessiner, et pourtant, elle a non seulement changé la façon dont les Françaises s’habillaient, mais elle a eu une influence considérable sur le styliste avec lequel elle a le plus collaboré dans sa carrière, Karl Lagerfeld.
Cette Francophile née en Égypte est élevée par une mère amoureuse de l’élégance parisienne, qui invite des couturières chez elles pour recréer les modèles repérés dans les magazines de mode français. Elle débarque en 1945 à Paris, où elle mène une vie mondaine et fréquente assidûment les salons de couture de l’époque. Mais au début des années 1950, alors qu’une nouvelle génération de femmes commence à s’émanciper et aspire à un autre vestiaire, elle veut habiller l’époque et les filles dans le vent, et voit dans le prêt-à-porter balbutiant, une industrie d’avenir. Elle n’a jamais travaillé, ne connaît rien au métier mais fait réaliser six modèles par une couturière qu’elle va elle-même proposer aux boutiques en vogue. La cliente de haute couture qui joue les VRP du chiffon rencontre quelques hostilités dans son milieu bourgeois, mais elle trouve aussi le soutien de Jacques Lenoir, avec lequel elle s’associe en 1953, d’Hélène Lazareff, la fondatrice du magazine Elle, et Maïmé Arnodin, alors à la tête du Jardin des modes.
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En 1956, Gaby Aghion organise un premier défilé entre les tables du Café de Flore. L’année d’après, elle engage un styliste influent, Gérard Pipart, qui fait décoller son prêt-à-porter, et lorsque celui-ci la quitte pour rejoindre Nina Ricci, elle recrute plusieurs free-lance: Christiane Bailly, Maxime de la Falaise, Michèle Rosier... et surtout, Karl Lagerfeld dont elle saisit d’emblée l’immense talent. Bientôt elle lui confie les rênes de toutes les collections mais va aussi lui transmettre son expérience de femme et de clientes. «Gaby Aghion va montrer à Karl qu’on peut aborder la mode d’une manière radicalement différente, plus légère, plus nerveuse, sans froufrous. C’est elle qui lui apprend à épurer ses idées, à resserrer ses projets foisonnants», écrit Alicia Drake, dans Beautiful People (Denoël).
Chloé doit aussi son aura à Guy Bourdin qui à partir de 1956 va photographier en long, en large et en travers les collections pour le magazine Vogue et apporté cette mode fraîche et insouciante, la juste dose de transgression. «Gaby Aghion se réjouissait de voir ses vêtements dans l’œil d’un autre car elle n’avait pas l’intention de tout contrôler», expliquait Judith Clark, la commissaire d’exposition de Femininities présenté dans les locaux de Chloé en 2017. La chef d’entreprise visionnaire a toute sa vie cultivé le secret, elle n’a jamais accordé d’interviews, et refusait d’incarner sa marque. En 1985, elle et son associé Jacques Lenoir cèdent la maison à Dunhill Holdings, devenu depuis le groupe Richemont. Quarante après, Chloé est toujours sous les feux des projecteurs.