Présidentielle américaine: l’intelligence artificielle pourrait-elle influencer les résultats?

Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Black Mesa (Robert Laffont, 2023), son premier roman.


Tout part d'une image. Une vision, aussi fascinante qu'invraisemblable, qui tourne et retourne sur X : Donald Trump émergeant de l'eau (que la pudeur se rassure, habillé !) et tenant, blottis contre sa poitrine, un chaton et un caneton. Un utilisateur perplexe serait dans son droit de s'interroger sur le but avoué d'une telle apparition, mais ce serait oublier qu'en Amérique rien n'est jamais gratuit. Inutile de le nier, la création d'images par le biais des logiciels d'intelligence artificielle (IA) aura un impact -peut-être décisif- sur les résultats de cette présidentielle made in the USA.

Midjourney, DALL-E ou, plus récemment encore, Grok génèrent à l'infini toute une cohorte de représentations aussi fausses que mémorables. Nous ne sommes plus à l'ère du détournement potache ou du bidouillage parodique, derrière l'humour pointe la volonté d'infléchir sur les résultats électoraux. Bien que fausses, ces images (même quand le curseur est délibérément placé du côté de l'absurde) sont ressenties comme réelles. Cela n'est pas mais cela pourrait être, sous le faux se cache un vrai probable, le faux serait donc in fine plus vrai que le vrai ! Un rapport publié par l'Université de Stanford stipule d'ailleurs que 62 % des Américains sondés disent avoir vu, ou entendu parler, d'images générées par les IA au cours de la campagne présidentielle américaine.

Les spécialistes en stratégie numérique ont bien compris que les images servaient essentiellement à deux choses : conceptualiser les craintes et faire vivre les fantasmes.

Ophélie Roque

Plus en avance que son rival démocrate, le parti républicain n'hésite plus à bombarder la sphère médiatique de clips de campagnes dopés à la testostérone et aux rajouts numériques. Dans le genre, la célèbre vidéo intitulée «Beat Biden» qui montrait un futur proprement apocalyptique en cas de réélection de celui qui est, encore, l'actuel président.

Loin d'être anodines, ces images influencent les électeurs en appuyant sur leurs craintes. Une étude menée par le Pew Research Center révèle que 47 % d'entre eux avouent que leur perception d'un candidat est tributaire de ces dernières. Une personne sur deux reconnaît ainsi que le faux finit par prendre le pas sur le vrai. Et pour ceux qui se pensent préservés, qu'en est-il réellement ? Parce que, qu'on le veuille ou non, les images s'ancrent d'autant plus aisément dans les mémoires qu'elles suscitent en nous des émotions primaires. Elles renforcent des biais cognitifs déjà préexistants et nous confortent dans notre perception. Une image vaut toujours mieux que mille mots. Comme quoi on ne réinvente jamais tout à fait la roue !

Regarder une photographie ou un dessin améliorerait la mémorisation d'informations de 30% par rapport au texte seul. Lire que Trump est un idiot est une chose, le voir représenté en camisole de force en est une autre. Ainsi les images radicalisent les phénomènes de polarisation politique en confortant les croyances déjà présentes chez un individu. En clair, l'image sert moins à convaincre l'ennemi qu'à fidéliser son partisan. Quitte à parfois fanatiser le débat.

Les spécialistes en stratégie numérique ont bien compris que les images servaient essentiellement à deux choses : conceptualiser les craintes et faire vivre les fantasmes. Tout est toujours « too much». Amoureux de la bienséance et du juste milieu, il est temps de s'éclipser. Peut-être est-ce là un moindre mal et que l'on pourrait toujours envisager le pire avec ce que serait une potentielle diffusion en masse de fausses photographies trop «vraies» pour être rapidement détectées. Il n'en reste pas moins que tout ceci soulève de nombreuses préoccupations éthiques. La banalisation des IA et de leur capacité à créer -en un dixième de seconde- des réalités alternatives «visibles» peut-elle venir à nous faire douter de ce qui est, ou non, la réalité. Faut-il les réguler ? Et si oui, comment ? Surtout qui dit contrôle, dit atteinte. Songeons que nous sommes aux États-Unis où le peuple se montre tatillon sur ses droits. De plus, où se termine la liberté d'expression et où commence la propagande ? Doit-on autoriser uniquement les «errances artistiques» émanant de «particuliers» et interdire celles générées par des partis politiques ?

Actuellement, des projets de loi tentent d'encadrer et de mieux réguler l'utilisation des IA, on envisage et expérimente des garde-fous appropriés. Au niveau fédéral, l' «AI Bill of Rights» vise à établir un processus unifié qui permettrait d'encourager leur développement tout en traçant des limites à ne pas franchir. C'est ainsi que le projet de loi HR 4623 proposé au Congrès propose de sanctionner sévèrement toute utilisation malveillante, ou non appropriée, des IA lors des temps politiques. Quant à savoir si cette mesure pourra un jour s'appliquer ceci est une autre histoire qui, elle, ne s'écrit pas en images.