L’enfant rêveur qui sort d’un cauchemar
La prédestination, pour gratifiante qu’elle soit, peut connaître quelques embardées, susceptibles de malmener le trajet d’un sujet humain élu dès sa naissance. N’est-ce pas ce qui advient à Mehdi (soit « le guide éclairé par Dieu »), septième enfant de la lignée de garçons, dans une famille d’émigrés où l’on travaille dur ? Il est le héros de Kolision, la fable écrite et mise en scène par Nasser Djemaï, qui dirige le TQI, Théâtre des Quartiers d’Ivry.
Lire le texte constitue déjà un bonheur. C’est une nouvelle, une histoire courte (short story, disent les Anglo-saxons), avec un narrateur qui dit « je ». C’est en 18 tableaux, ce qui nous conduit au théâtre, dès lors que l’acteur Radouan Leflahi, s’emparant du texte, le restitue en un monologue percutant. Sa voix, souple, riche en inflexions multiples, jaillit à l’unisson d’un corps mobile, bondissant tel celui d’un pugiliste. L’image coule de source ; il ressemble à Marcel Cerdan jeune.
Que nous dit Mehdi, fils choyé, que la lecture de l’Île au trésor, entre autres merveilles, a transformé en sage premier de la classe au long de ses études, jusqu’à devenir cadre friqué dans l’industrie de l’aviation militaire ? Qu’il faut ne jamais renoncer à l’enfant qu’on fut, soit à la poésie du monde. Il s’est vu sacrément cabossé, à plusieurs reprises, au milieu de son parcours triomphal ; grand brûlé, hôte fréquent de l’hôpital, le crâne explosé contre un arbre… C’est pourquoi ses frangins l’ont baptisé Kolision, avec un K. La confession turbulente de Mehdi, écrite d’une main sûre et d’un cœur sensible, n’est pas exempte d’une qualité d’humour d’ordre fantastique.
Au plus fort d’un délire post-traumatique, le héros dialogue avec George Clooney posté sur une affiche. C’est tordant. Une espèce d’amitié se noue. La star hollywoodienne lui dit : « Salam wa alaykoum Kolision. » Ce qui se joue là, avec feu, sur le sol du terrain vague de la mémoire, à la lueur de bougies (scénographie d’Emmanuel Clolus), n’est sans doute pas autre chose – sous la forme d’un conte moderne – qu’une autobiographie pudique de l’auteur. Ne pas oublier d’où l’on vient. Empreintes de tendresse, les pages sur la famille sont magnifiques.
La création a eu lieu à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) en décembre. Tournée : Grenoble, du 4 au 7 février ; Pontault-Combault, le 7 mars ; Marseille, du 20 au 22 mars ; dans l’Hérault, les 25, 28 et30 mars ; Sartrouville, les 3 et 4 avril ; et Nîmes, du 9 au 11 avril. À Grenoble, le rôle de Mehdi sera tenu par Adil Mekki. Le texte est publié chez Actes Sud papiers, 13 euros.
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