Sarkozy, Wauquiez, Woerth... Ces autres polémiques déclenchées par la diffusion d’enregistrements volés

«Nous, on fait ce qu’il faut pour (Rachida) Dati, Patrick (Cohen) et moi.» Prononcée par Thomas Legrand, cette phrase au sujet de la ministre de la Culture candidate LR à la mairie de Paris en 2026, est celle que le monde politico-médiatique retiendra de l’échange enregistré à leur insu entre le journaliste de France Inter et Libération, son confrère Patrick Cohen, (France Inter, France 5, LCP), et deux responsables du Parti socialiste (PS), Pierre Jouvet et Luc Broussy, respectivement secrétaire général et président du conseil national du parti.

Vendredi 5 septembre, le média conservateur L’Incorrect a diffusé plusieurs courtes vidéos filmées en juillet dans un restaurant parisien. Dans leur échange privé, les quatre hommes évoquent la stratégie de la gauche en vue des élections municipales de 2026 et du scrutin présidentiel de 2027. Aussitôt, les critiques, ont fusé du Rassemblement national à la France insoumise, les partis dénonçant pêle-mêle un «complot», une «infiltration» ou encore une «mafia». Des saillies d’autant plus sévères que les deux journalistes officient sur le service public, soumis à une obligation de pluralisme et de neutralité politique.

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«Je comprends que la diffusion de cette vidéo, enregistrée à l’insu des protagonistes et qui plus est tronquée, puisse susciter de la suspicion», a réagi sur X Thomas Legrand, qui a été suspendu d’antenne à titre conservatoire. «Je tiens des propos maladroits. (...) Si la tournure, extraite d’un échange tronqué et privé, est malheureuse, j’assume de “m’occuper” journalistiquement des mensonges de Madame Dati.». De son côté, Patrick Cohen dénonce une manœuvre «complètement manipulatoire», quand le PS se défend en affirmant qu’«aucune collusion n’existe entre le Parti socialiste et les journalistes quels qu’ils soient». Ces derniers ont annoncé qu’ils porteraient plainte.

«Violation du secret d’une conversation»

Selon l’article 226-1 du Code pénal, l’atteinte volontaire à la vie privée d’autrui, c’est-à-dire «capter, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel», est passible d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. Il en va de même pour le fait de «fixer, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé». De surcroît, «lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne (...) chargée d’une mission de service public (...) les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60.000 euros d’amende». Dans le cas de Thomas Legrand et Patrick Cohen, il s’agit de la captation d’une conversation privée dans un lieu ouvert au public.

«À partir du moment où c’est un lieu qui accueille du public, c’est considéré comme un espace public. C’est à distinguer d’un endroit comme le domicile. Mais que ce soit capté dans un restaurant ou au domicile ne change rien à la réalité de l’infraction qui est la violation du secret d’une conversation», analyse Me Delphine Meillet, experte en droit des médias et de la communication.

Par le passé, d’autres polémiques du même registre ont émaillé la vie politique française. Si certains médias filment ou enregistrent des conversations à l’insu des personnes interrogées, à l’instar de «Complément d’enquête», «Cash investigation» et «Envoyé spécial» sur France 2, la liste non exhaustive d’affaires mises au jour par des documents pirates ci-dessous n’est pas le fait de journalistes, les enregistrements étant devenus des objets journalistiques une fois entre les mains des rédactions.

Le «bullshit médiatique» de Laurent Wauquiez

En février 2018, alors invité par l’école de commerce EM Lyon à donner un cours, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez est enregistré à son insu en train de tenir des propos controversés révélés par Quotidien. «Si j’ai la moindre interface qui sort par le moindre élève, ça se passera très mal (...) il faut que tout ce que je dise reste entre nous. Sinon ce que je peux vous sortir, ce sera juste du bullshit (langue de bois, NDLR) des plateaux médiatiques», avait-il prévenu en préambule... L’élu LR cible d’abord Emmanuel Macron qui aurait copié son style et se mettrait en «bras de chemise» comme lui, «pour faire cool».

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La suite de l’enregistrement est plus sensible. Laurent Wauquiez s’en prend à Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics alors visé par une plainte pour abus de faiblesse, qu’il qualifie de «Cahuzac puissance 10». «Vous penserez à moi dans les semaines qui viennent, mais lui, je ne lui promets pas un grand destin», prédit-il.

Dans la séquence, Laurent Wauquiez donne également son avis sur la défaite de François Fillon à la présidentielle de 2017. «Que Fillon gagne la primaire et que derrière Macron le démolit, ça, je suis sûr et certain qu’il l’a organisé. Je pense qu’ils ont largement contribué à mettre en place la cellule de démolition. Je n’ai aucun doute que le machin a été totalement téléguidé», affirme-t-il. Enfin, il étrille le président Nicolas Sarkozy : «Il en était arrivé au point où il contrôlait les téléphones portables de ceux qui rentraient en Conseil des ministres. Il les mettait sur écoutes pour pomper tous les mails, tous les textos.»

«Les propos diffusés (...) ont été enregistrés de façon illégale, avec des méthodes peu déontologiques qui ouvrent la voie à des suites judiciaires», avait réagi Laurent Wauquiez. Dans un communiqué, l’actuel chef des députés LR affirmait que ces paroles avaient été tenues dans le cadre privé d’un enseignement «au cours d’une discussion libre et sur le ton de l’humour». «Ce cours amenait notamment les étudiants à réfléchir sur les rumeurs et les fantasmes qui nourrissent la vie politique», concluait-il.

Les dictaphones de Patrick Buisson

Quatre années auparavant, en mars 2014, à seulement quelques jours des élections municipales, Le Point, Atlantico et Le Canard Enchaîné révèlent l’existence d’enregistrements réalisés à l’insu de Nicolas Sarkozy, lorsque celui-ci était encore président de la République, par son ancien conseiller Patrick Buisson en février 2011 à l’aide d’un dictaphone. Selon les médias, ce dernier a enregistré «des heures et des heures de réunions stratégiques», mais aussi des discussions sur la vie privée des participants, avant de «soigneusement» les ranger «dans la mémoire de son ordinateur personnel». Les enregistrements révèlent notamment les coulisses du remaniement ministériel de 2011 et sont ponctués de phrases assassines envers François Fillon, alors premier ministre, Roselyne Bachelot ou encore Michèle Alliot-Marie.

Immédiatement, le couple Sarkozy-Bruni porte plainte contre Patrick Buisson pour atteinte à la vie privée. Ce dernier annonce qu’il porte plainte, lui, pour vol et recel. Selon son avocat, Me Gilles-William Goldnadel, le président de la République et les participants aux réunions savaient qu’ils étaient enregistrés. En juillet 2014, la justice confirmera en appel le retrait des enregistrements et la condamnation de l’ex-conseiller.

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Les écoutes clandestines Bettencourt

En juin 2010, trois ans après que la fille de Liliane Bettencourt, Françoise Bettencourt-Meyers, a porté plainte pour abus de faiblesse contre le photographe François-Marie Banier, ami de la milliardaire, soupçonné d’avoir bénéficié de centaines de millions d’euros de dons, des révélations sont faites concernant des extraits d’enregistrements pirates réalisés en 2009 et 2010 par Pascal Bonnefoy, le maître d’hôtel de l’héritière de L’Oréal. Ces derniers avaient été rendus publics par Médiapart.

Le conflit familial tourne au scandale politico-judiciaire : les bandes sonores suggèrent une fraude fiscale et des liens avec Éric Woerth, alors trésorier de l’UMP et ministre du Travail, qui aurait profité des largesses de Liliane Bettencourt pour la campagne de Nicolas Sarkozy. Bien que pirates, les enregistrements sont jugés recevables par la Cour de cassation. Éric Woerth, qui démissionne de son poste de trésorier du parti, est mis en examen en février 2012. Il est relaxé du chef de «trafic d’influence» après plus de sept ans de procédure.

La valeur journalistique de ces enregistrements obéit à des règles mouvantes. Concernant l’affaire Bettencourt, Thomas Legrand considérait dans un éditorial sur France Inter en juin 2010, que «les bandes sonores récupérées par le site d’infos en ligne (...) sont des objets journalistiques tout à fait conformes à l’exercice de notre métier». «Médiapart est un site internet composé de journalistes professionnels. Ils ont obtenu cette bande, ils ne l’ont pas volée, ils ont vérifié sa véracité et ils ont jugé leur source fiable. Et cet enregistrement (...) apporte des informations très éclairantes sur la façon dont une partie du monde économique et financier utilise le monde politique. Et sur la façon dont une partie du monde politique se laisse volontiers ainsi utiliser.»