Lucky Luke mis en bière entre Hitchcock et La Grande Vadrouille
Huit ans après avoir repris les rênes des nouvelles aventures de Lucky Luke, le tandem Jul et Achdé publie Un Cow-boy sous pression, un tome 11 très en verve qui propulse «l’homme qui tire plus vite que son ombre» au cœur de la communauté des colons allemands installés en Amérique.
Comme le dit le dessinateur Achdé : «Ce héros a traversé les générations. Désormais, les libraires attendent le nouveau Lucky Luke comme ils attendent un Astérix. Il représente une valeur sûre. Et il apporte un peu d’air à leur trésorerie!»
Ô surprise, dans Un Cow-boy sous pression (celle de la bière bien sûr), notre dynamique duo commence par mettre en scène un Lucky Luke qui se coince méchamment le dos. Une première! En petite forme, notre héros débarque à New-München pour consulter un médecin. Celui-ci lui donne des antidouleurs, mais surtout il lui conseille de «limiter l’alcool. Même si ici, cela ne va pas être trop difficile.»
Intrigué, Luke n’a même pas le temps de mener ses propres investigations que les édiles de cette petite bourgade du Dakota lui expliquent qu’une pénurie de bière ravage tous les saloons du pays, causée par une grève générale qui paralyse toutes les brasseries d’Amérique ! Voici Lucky Luke mandaté pour sauver la situation. Et Jolly Jumper prend la direction Milwaukee, la capitale de la bière. Le lonesome cow-boy va ainsi jouer les médiateurs entre les ouvriers en grève et les propriétaires de brasserie, dont le redouté Frederick Martz (inspiré du président de la Pabst Brewing Company Johann Friedrich «Frederick» Pabst).
Voilà Lucky Luke obligé de résoudre à lui tout seul la lutte des classes. Ni plus ni moins.
Jul
Le scénariste Jul le reconnaît volontiers : «Je ne m’étais pas rendu compte que les colons allemands ayant pris pied en Amérique avaient sacrément influencé le pays, analyse-t-il. Ils sont à l’origine de nombreux invariants de la culture américaine. Ce sont eux qui inventent le ketchup Heinz, la décoration des sapins de Noël, et les hamburgers. Sans oublier les filles qui dansent dans les saloons, une idée d’un certain Frederick Trump, l’ancêtre de Donald...»
Plonger le cow-boy solitaire dans un bain germanique en l’éloignant des plaines du Far-West, l’idée est audacieuse. «La bière a été pour moi le déclic, confie Jul. J’ai poussé Luke vers l’Est à Milwaukee, la Mecque mondiale de la bière. En le poussant également au cœur d’une grève des ouvriers brasseurs contre les grands patrons de l’époque, nous nous sommes amusés avec Achdé à mettre notre cher héros dans une situation inhabituelle pour lui. Voilà Lucky Luke obligé de résoudre à lui tout seul la lutte des classes. Ni plus ni moins. En réalité, je ne m’étais pas rendu compte que Lucky Luke était contemporain de Karl Marx. C’est fou.»
En principe, Lucky Luke n’est pas vraiment équipé pour jouer les diplomates, jeté au cœur des conflits sociaux de l’Amérique du XIXe siècle. «Lucky Luke est un paradoxe sur pieds. Il le dit lui-même, il est justicier. Il exerce un métier passion, analyse Jul avec le sourire. Il arrive dans cette histoire comme un libertarien. Mais c’est en écoutant les uns et les autres avec beaucoup d’attention qu’il va tenter de mener sa tempétueuse médiation.»
LA CASE BD
Dans cette planche 26 de l’album on retrouve Lucky Luke à l’opéra. En compagnie du «capitaine» Frederick Martz, intraitable patron de brasserie, notre cow-boy solitaire habillé en queue-de-pie assiste à une représentation de La Walkyrie, de Richard Wagner.
«Je sais qu’il s’agit d’une planche spectaculaire. Et comme dans Lucky Luke, on montre des choses réelles, raconte le dessinateur Achdé, je suis allé me documenter sur cette fameuse salle s’opéra de Milwaukee. Il appartenait justement à Frederick Pabst, le modèle du patron de la Brasserie Frederick Martz. Comme Jul voulait retrouver ce côté grandiose et théâtral, j’ai imaginé une grande case où je me suis placé côté jardin, c’est-à-dire depuis les coulisses. Je me suis basé sur les plans du vrai bâtiment.»
Ainsi, on commence par regarder la loge royale occupée par Martz et Luke. Puis le regard descend vers la scène où une imposante Walkyrie chante à tue-tête : «D’où viens-tu vers nous d’un vol furieux?» Le regard repère alors un chef d’orchestre qui semble étrangement familier.
«Oui, il s’agit de Louis de Funès tout juste échappé de La Grande Vadrouille, sourit Achdé. Dans cette planche, je me suis inspiré évidemment du classique d’Alfred Hitchcock «L’Homme qui en savait trop» sorti en 1956. La fameuse séquence de l’Albert Hall où un tueur s’apprête à tuer quelqu’un au moment où claquent les cymbales. On remarque d’ailleurs le joueur de cymbales dans la fosse d’orchestre.»
Viennent ensuite les trois dernières cases de la planche. «Dans le strip final de cette planche, je mets en scène une case centrale en jaune où l’on distingue un colt en ombre chinoise, ajoute Achdé. Je reprends ici le style de Morris qui utilisait cette technique graphique pour arrêter l’action. Toute la planche, comme dans le film d’Hitchcock, sert à faire monter la tension, pour arriver à la réplique humoristique et burlesque : «Comment ça, «Click!» » Cette planche est l’illustration même de la collaboration parfaite en moi et Jul.»
Les nouvelles aventures de Lucky Luke tome 11 Un Cow-boy sous pression , de Jul et Achdé d’après Morris, éditions Lucky Comics, 48 p., 12,50 €.