Usure professionnelle, emploi des seniors, pensions des femmes: comment Barnier pourrait modifier la réforme des retraites
Ce sera le premier grand dossier politique du gouvernement. Le RN va utiliser sa niche parlementaire le 31 octobre pour tenter d’abroger la réforme des retraites de 2023 portant l’âge de départ à 64 ans, mais aussi la réforme Touraine votée par la gauche en 2014 fixant à 43 annuités la durée nécessaire pour toucher sa retraite à taux plein. Logiquement, la gauche ne devrait pas voter l’abrogation d’une loi qu’elle a elle-même instaurée, d’autant qu’elle ne souhaite pas soutenir un texte porté par le RN. Mais, hostiles aux 64 ans, certains s’interrogent. Ce qui place Michel Barnier face à une « menace atomique », s’alarme-t-on dans les couloirs du pouvoir.
Cherchant à calmer le jeu, le premier ministre a déclaré dès sa première allocution au « 20 Heures » de TF1 vouloir « ouvrir le débat » pour une « amélioration » de la réforme des retraites, sans pour autant « tout remettre en cause », et tout en « respectant le cadre budgétaire ». Mais ses marges de manœuvre sont étroites.
Revenir sur l’âge est impossible. Ce serait un désaveu majeur pour Emmanuel Macron qui détricoterait sa seule réforme d’ampleur. Mais aussi, en plein dérapage des finances publiques, un très mauvais signal envoyé à Bruxelles et aux agences de notation - à l’heure où tous les autres pays augmentent l’âge de départ, de l’Allemagne à l’Italie en passant même par la Chine. Car le report de l’âge rapporte des cotisations supplémentaires en faisant travailler les Français deux ans de plus et évite des dépenses en retardant d’autant le paiement des pensions.
Si on veut partir deux ans plus tôt, il faut dire aux Français avec quel montant de retraite ! Le jeu politique est dangereux car il s’affranchit de tout principe de réalité
François Asselin, président de la CPME
Faire un geste
Sans compter que la réforme des retraites, à force de concessions sociales imposées par le Parlement, est déjà bien peu ambitieuse. Elle ne permettra pas d’atteindre l’équilibre en 2030 comme prévu, a d’ores et déjà averti le Conseil d’orientation des retraites (COR) : le système accusera encore un déficit d’environ 10 milliards d’euros. « Quand on regarde l’évolution démographique, on sait déjà qu’il va falloir revisiter la réforme en place. Si on veut partir deux ans plus tôt, il faut dire aux Français avec quel montant de retraite ! Le jeu politique est dangereux car il s’affranchit de tout principe de réalité », observe François Asselin, président de la CPME. « Seul Édouard Philippe a le courage de dire que l’âge de départ devrait être relevé à 67 ans », conforte un député Horizons.
« Mais s’il veut renouer avec les syndicats, le gouvernement est obligé de distribuer quelques gâteries. Il devra faire un geste, il ne pourra pas y échapper, car il n’a pas de majorité », affirme Raymond Soubie, ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy et président du cabinet Alixio. Quelles mesures pourraient alors être envisagées ? Les petites pensions ont déjà été revalorisées et le dispositif carrières longues - pourtant jugé « injuste et coûteux » par la Cour des comptes - a déjà été élargi sous la pression du Parlement. Au point que 30 % des Français partent aujourd’hui avant l’âge légal, du simple fait d’avoir commencé à travailler avant 20 ans.
En revanche, le sujet de l’usure professionnelle pourrait être rouvert, c’est-à-dire des carrières pénibles - à ne pas confondre avec les carrières longues. « La pénibilité est un vrai problème dans le bâtiment, les travaux publics, par exemple. En revanche, quelqu’un qui est entré à 18 ans dans la fonction publique territoriale, à 65 ans il n’est pas usé, avec les jours du maire, les RTT, moins de 35 heures », observe un chef d’entreprise. « On n’est pas allé au bout du sujet de l’usure professionnelle, on l’a laissé en plan », reconnaît Éric Chevée, vice-président de la CPME.
Le retour de l’index senior ?
Les partenaires sociaux s’étaient en effet emparés du sujet mais n’ont pas trouvé d’accord. «L’idée n’est pas de faire partir des salariés plus tôt mais d’éviter qu’ils terminent en inaptitude, en suivant mieux leur parcours professionnel ou en facilitant les reconversions », poursuit Éric Chevée. Une mesure qui aurait le mérite de ne pas être dispendieuse : au contraire, elle éviterait des dépenses supplémentaires et augmenterait le taux d’emploi des seniors. Mais les branches professionnelles sont frileuses à l’idée de rouvrir ce dossier qui s’était transformé en usine à gaz sous le quinquennat Hollande.
L’emploi des seniors est un autre levier qui pourrait être activé, avec incitations ou obligations pour les entreprises à conserver leurs travailleurs âgés. Cela pourrait signer le retour de l’index senior, obligeant à publier des indicateurs sur le modèle de l’index égalité hommes-femmes, ou du CDI senior imaginé par la droite sénatoriale, deux dispositifs introduits dans la réforme des retraites avant d’être censurés par le Conseil constitutionnel, non sur le fond mais car ils n’avaient pas leur place dans un texte financier, en l’occurrence une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale.
Autre piste : les retraites des femmes. « Si Michel Barnier veut faire du petit replâtrage, il peut éventuellement agir sur la carrière des femmes, les périodes de maternité. Il y a peut-être des voies et moyens mais c’est marginal », indique un expert des retraites. Grandes perdantes de la réforme, les mères de famille qui pouvaient - grâce à leurs trimestres pour enfant - prendre leur retraite à 62 ans doivent désormais attendre 64 ans, leurs trimestres ne leur servant plus à rien. Pour compenser, le gouvernement leur a concédé un petit bonus de 5 %. Quant au sujet plus large, et ultrasensible, des droits familiaux - majoration de pension pour les parents de trois enfants, pension de réversion etc. -, il est au programme de travail du COR, avec un rapport attendu à l’automne… 2025.
Renouer avec les syndicats
Mais vu la tension politique du moment, est-il judicieux de rouvrir l’explosif dossier des retraites, même à la marge ? « Le gouvernement ne peut pas faire autrement. C’est l’occasion de renouer avec les syndicats qui sont en attente », affirme Raymond Soubie. S’ils sont prêts à prendre toute amélioration de la réforme, les syndicats ne désarmeront pas sur leur opposition aux 64 ans. « On ne veut pas parler des retraites sans parler d’âge légal. Il faut tout mettre sur la table : l’âge, la durée de cotisation, les exonérations de cotisation dont bénéficient les entreprises », martèle Dominique Corona, représentant Unsa. De son côté, la CFDT demande « a minima » une suspension de la réforme avant de « discuter ».
Lancer un processus d’étude permet de montrer qu’on est ambitieux, sans prendre de risques
Raymond Soubie, ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy et président d’Alixio
En voulant donner quelques gages pour un gain incertain, le risque est fort pour Michel Barnier de rouvrir la boîte de Pandore. « Il cherche à raccrocher la gauche mais il n’aura pas les syndicats, pas même la CFDT. Il ne pourra faire tout au plus que des mesurettes qui ne serviront à rien », conclut un fin connaisseur du sujet. Alors qu’Emmanuel Macron n’a jamais fait le deuil de sa première réforme des retraites avortée, l’exécutif pourrait aussi se projeter sur un horizon plus lointain, en relançant le sujet d’un système par points, par exemple, ou en engageant une réflexion sur l’introduction d’une dose de capitalisation. « On peut lancer un chantier dont on sait qu’il n’aboutira pas dans les deux-trois prochaines années. Lancer un processus d’étude permet de montrer qu’on est ambitieux, sans prendre de risques », conclut Raymond Soubie.