Foot - Maxime Estève : «Dès que je suis arrivé en Angleterre, on m’a dit que je devais prendre 5-6 kilos»

«Burnley a encaissé un but, la fin du monde est proche.» Les internautes étaient inspirés le 4 mars dernier. Après 12 matches de championnat sans encaisser de but, soit la 2e meilleure série de l’histoire du foot professionnel anglais, les «Clarets» (les Bordeaux, en référence à leur couleur principale) ont craqué chez Cardiff. Mais ils ont quand même gagné (1-2), avec le premier but sous ce maillot de Maxime Estève, arrivé en janvier 2024, promu titulaire dès ses débuts et aujourd’hui indispensable à une défense de fer.

Le jeune colosse français (22 ans, 1,93 m), international espoirs (2 sélections), raconte les secrets de Burnley, qui n’a encaissé que 10 buts en 35 matches de Championship avant la réception de Luton Town samedi (16h). Le club du Lancashire est 3e de D2 anglaise, invaincu depuis 22 matches et vise un retour en Premier League, après sa relégation l’été dernier. C’est aussi l’ambition d’Estève, amoureux du football britannique, qui n’oublie pas pour autant sa ville de naissance, Montpellier, et son club formateur, le MHSC, dont il dit «ne pas rater un seul match» cette saison.

LE FIGARO. - Vous êtes arrivé à Burnley il y a un an. Ça vous a changé de Montpellier ?

MAXIME ESTÈVE. - J’ai vécu directement à Manchester, qui est à 45 minutes de route. J’ai d’abord vécu à l’hôtel, puis j’ai trouvé quelque chose dans le centre-ville de Manchester. J’y suis très très bien, la ville est géniale. Ça m’a changé parce que je passe du sud de la France où il fait beau, il fait chaud, à l’Angleterre où c’est totalement l’opposé. C’était un petit dépaysement, surtout que j’ai toujours vécu à Montpellier. Mais je m’y suis très vite fait.

C’était un déracinement pour vous et en plein milieu de saison. Étiez-vous accompagné par des proches pour vous installer en Angleterre ?

Je suis marié, donc ma femme m’a suivi. Ça a été dur pour elle car elle est restée pendant un mois à l’hôtel. En plus, avec le coach Vincent Kompany, on avait de longues journées. Ça me changeait de Montpellier car là-bas, il n’y avait pas le petit-déjeuner et le déjeuner. Les joueurs, on arrivait souvent à 10h et on repartait à 12h30, 13h maximum. Là à Burnley, tu faisais du 8h30 - 16h30 parfois. Mais je suis arrivé en même temps que Lorenz Assignon (latéral droit français formé à Rennes), qui est devenu un très bon ami à moi. On allait tous les matins à l’entraînement ensemble, on revenait ensemble. J’ai eu de la chance pour l’intégration.

L’année dernière, Burnley est monté (en Premier League) et a investi plus de 100 millions d’euros sur le marché des transferts. Tu ne vois ça qu’en Angleterre.

Maxime Estève

Vous parliez déjà anglais avant d’arriver ?

Pas du tout (rires). À cause du Covid, je n’ai pas fait ma dernière année au lycée. J’ai perdu une année d’apprentissage d’anglais, sachant que ça devait être l’année où on approfondit le plus. J’étais arrivé avec des bases très peu solides. En plus, j’ai fait la bêtise de rester avec les Français au début, il y en avait énormément dans l’équipe. Mais cette année, c’est vraiment là où j’ai appris. Je ne me sens pas bilingue, ce serait trop de dire ça, mais je me débrouille bien. Avoir des discussions avec des gens ne me pose plus de problème. Je comprends tout. C’est plutôt la grammaire ou la conjugaison des temps qui sont délicates, mais je me débrouille.

Qu’est-ce qui vous avait convaincu de signer à Burnley ?

J’arrivais à un moment avec Montpellier où je ne me sentais plus bien, je n’étais plus heureux au quotidien. Aller à l’entraînement avec le sourire, c’est quelque chose que je n’avais plus. Je ne prenais plus vraiment de plaisir, j’avais du mal à progresser sur le point de vue personnel. Il y avait juste le fait d’avoir ma famille autour de moi qui faisait que je me sentais très bien.

Et je ne vais pas le cacher, mon rêve était d’aller jouer en Angleterre. C’était vraiment mon rêve (Il insiste). Depuis petit. Et quand tu as Vincent Kompany (ancien défenseur et capitaine de la sélection belge et de Manchester City) qui t’appelle, qui te présente le projet... Quand je suis arrivé à Burnley, je me suis senti tellement bien, le club est incroyable, tout est top. Même si je savais dans quoi je m’embarquais, dans une situation où on était mal au classement. Mais pour moi, mettre les pieds en Angleterre était vraiment quelque chose de beau. C’est le train que je ne voulais pas louper.

Pourquoi rêviez-vous de jouer en Angleterre ?

Franchement, tout ! Je ne vois rien de négatif ici. On ne manque de rien, les gens sont hyper conciliants. Et c’est le meilleur championnat du monde. Il y a des joueurs internationaux dans toutes les équipes, même en bas de tableau. Nous l’année dernière, le club est monté et a investi plus de 100 millions sur le marché des transferts. Tu ne vois ça qu’en Angleterre. À tous les niveaux, il y a absolument zéro regret. Je suis reconnaissant d’être ici parce que je pense que plein de joueurs rêveraient d’être dans ce pays. Je suis le plus heureux.

En Angleterre, il y a des entraîneurs de coups de pied arrêtés, il y en a même qui s’occupent des touches.

Maxime Estève sur les différences entre le football français et anglais

Vous signiez avec la perspective excitante de la Premier League malgré le risque de la relégation. C’est ce qui est arrivé. Avez-vous douté de votre choix ?

(Très vite) Absolument pas. Que ce soit à Montpellier ou à Burnley, c’est un peu la même situation. Ton objectif premier, c’est le maintien. Que tu fasses des matches nuls ou des victoires contre de belles équipes, c’est un peu un exploit. Cet été, j’ai eu des propositions. À la fin, j’ai vu avec le président de Burnley (Alan Pace) qui est d’ailleurs un top mec. On s’est dit : «Max, qu’est-ce que tu veux faire ?» Moi, je voulais rester à Burnley. Le club est top, le coach (Scott Parker, nommé l’été dernier à la place de Kompany) est incroyable, les gens qui sont au quotidien au club aussi, il y a un super vestiaire. Je me sens heureux, tout simplement. Et puis les fans m’ont adopté directement. Non franchement, c’est top, je me sens comme à la maison ici.

Comment s’est passée la découverte de la Premier League ? Vous avez été vite mis dans le bain avec Liverpool (son 2e match, défaite 3-1) et Arsenal (son 3e match, défaite 0-5)...

En termes d’apprentissage, il n’y a rien de mieux. Je me souviens du discours de Vincent Kompany au téléphone, il m’avait dit : «Max, le rêve de tous les joueurs est de jouer la Ligue des champions. Si tu viens en Premier League, tu joues des quarts de finale de Ligue des champions tous les week-ends.» Au final, il n’a pas tort. Quand tu joues contre Arsenal, Liverpool, Manchester City, United, Chelsea... Même des équipes comme Aston Villa ou Newcastle, tu les vois aujourd’hui en Champion’s League et elles font un super parcours. Forcément, les débuts n’étaient pas faciles. J’ai été assez surpris de jouer tous les matches directement. Pour te lancer dans le grand bain, pour la connexion avec les partenaires, il n’y a rien de mieux. Surtout quand tu es étranger et que tu arrives dans un nouveau vestiaire.

Quelles sont les différences entre le football français et anglais ?

Ce que j’ai remarqué d’abord, c’est le souci du détail. En Angleterre, il y a des entraîneurs de coups de pied arrêtés, il y en a même qui s’occupent des touches. Tu travailles tous les aspects de ce qui peut se passer sur le terrain. C’est beaucoup plus pointu. Après, il y a des budgets beaucoup plus importants qu’en France. Les infrastructures sont top.

Il y a aussi les séances de musculation, c’est beaucoup plus soutenu. Dès que je suis arrivé, on m’a dit qu’il fallait que je prenne 5-6 kilos. Il faut répondre à la charge de travail et dans les duels sur le terrain. C’est un autre environnement. Et puis l’intensité... En moyenne, je faisais 10 ou 10,5 km par match en Ligue 1. Il y a des matches en Angleterre où j’ai fini à 11,7 ou 12 km en tant que défenseur central. Ce n’est pas la même chose.

Vous receviez beaucoup plus de cartons jaunes en Premier League (un toutes les 218 minutes) qu’en Ligue 1 (un toutes les 749 minutes) malgré un arbitrage réputé plus laxiste. Comment l’expliquez-vous ?

(Il réfléchit) Ça peut s’expliquer par le dispositif. Sur la fin à Montpellier, avec Michel Der Zakarian, je jouais dans une défense à cinq. À Burnley, c’était une défense à quatre. Et il y avait plein de matches où je me retrouvais à sortir sur le N.10 adverse et je pouvais le suivre sur tout le terrain. J’avais beaucoup plus de duels à jouer et de responsabilités défensives. J’avais l’impression d’être constamment dans l’action. Tu es forcément plus à même de faire des fautes, et j’étais donc plus sanctionné. Je l’explique comme ça. Après, je ne sais pas, peut-être que les arbitres ont parfois un peu abusé (rires).

Si tu mets Leeds, Sheffield ou nous (Burnley) en Ligue 1, je pense qu’on peut jouer le top 8.

Maxime Estève

Y a-t-il un gros écart de niveau entre la Premier League et le Championship ?

Oui. Il suffit de regarder les chiffres. L’été avant que j’arrive, ce sont Burnley, Luton et Sheffield qui sont montés. Les trois sont redescendus direct, malgré des mercatos très chers. Et si tu regardes le classement actuel en Premier League, les trois derniers sont Leicester, Ipswich et Southampton (les trois promus). Il y a une très grande différence, mais je trouve qu’il y a quand même des top équipes en Championship. Tu vois nous, Leeds, Sheffield United, Norwich, Watford, Sunderland... Et ce sont des clubs mythiques en Angleterre. Ils envoient de belles sommes d’argent à chaque mercato. Le championnat est hyper compétitif.

Le Championship est-il un gros ton en dessous de la Ligue 1 ?

Non je ne pense pas... Vraiment pas même. Je pense que le top 6 en L1 est clairement au-dessus, même dans les budgets. Mais si tu mets Leeds, Sheffield ou nous en L1, je pense qu’on peut jouer le top 8. On se situe vers là. Tu as des équipes en Championship qui envoient 10 ou 15 millions d’euros sur un mercato. Une grande partie d’entre elles ne descendraient pas si tu les mettais en L1. Et tu le vois même dans les stades. L’autre fois on est allé à Sheffield, dans un stade de 32.000 places, c’était quasiment plein. Sunderland pareil, c’est 40.000 personnes et c’était plein. Une fois on a joué à Plymouth un mardi, il devait y avoir 20.000 personnes. Pour les gens, le football, c’est tout.

Êtes-vous un mordu de foot à regarder des matches sur votre temps libre ?

Oui. Ma femme n’est pas contente (sourire), mais tous les dimanches on reste à la maison, elle sait que c’est journée foot. Montpellier, je regarde tous leurs matches. Je n’en ai pas raté un seul, sauf si on jouait en même temps. J’ai encore des amis là-bas. Je prends du plaisir à les regarder, même si cette année c’est très compliqué. Et plus généralement, dès qu’il y a des matches à la télé... L’autre fois j’ai regardé Angers contre Saint-Étienne un vendredi soir (3-3 le 22 février). Je peux regarder de tout.

L’autre fois j’étais au stade avec un ami pour Manchester City-Liverpool. J’avais le téléphone sur les genoux avec le match de Montpellier.

Maxime Estève sur son amour intact pour le MHSC

Laurent Nicollin, président de Montpellier, avait très mal digéré votre départ...

Je suis formé au club, je ne cracherai pas sur quoi que ce soit vis-à-vis du club. J’ai été un peu déçu de la sortie du président, mais ce n’est pas grave. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Sachant que je suis un jeune du club, je lui ai quand même rapporté de l’argent, tout le monde était content à ce moment-là. C’est la vie. Je suis parti parce que je n’étais plus heureux pour plein de raisons que je n’ai pas du tout envie d’évoquer. On m’a donné à manger quand j’étais à Montpellier, je ne cracherai jamais sur ce club car c’est mon club formateur. Je souhaite personnellement au président que le club se maintienne, que ça se passe bien pour lui et pour tout le monde. Je n’ai aucune rancœur.

Et vous dites que vous regardez tous leurs matches ?

J’ai dû rater 2 matches grand maximum depuis le début de saison parce qu’on jouait en même temps (sourire). Mais sinon, je regarde tous les matches, même quand on est dehors. L’autre fois j’étais au stade avec un ami pour Manchester City-Liverpool. J’avais le téléphone sur les genoux avec le match de Montpellier.

Burnley fait preuve d’une extraordinaire solidité cette saison. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a une part de mentalité, une part aussi de croire en soi, croire en ses coéquipiers, un travail vidéo avec le staff. Et puis il y a aussi une part de réussite, avec des buts qu’on aurait pu prendre et qu’on n’a pas pris, ce qui a pu nous mettre en confiance derrière. À un moment, tu as un peu les planètes qui s’alignent. C’est surtout un bon travail au quotidien et de bonnes ententes. On est une défense assez jeune. On s’entend tous bien. Pour moi, les joueurs derrière sont comme mes frères. Ça joue beaucoup.

C’est la confiance, l’envie de se battre pour son partenaire. Moi, mon compère en défense centrale (CJ Egan-Riley, 22 ans), on est hyper proche sur et en dehors du terrain. Tu as envie de te battre pour ton pote. Tu as aussi nos milieux qui font des retours défensifs incroyables. Quand tout le monde se met au diapason, c’est beaucoup plus facile.

Je préfère encaisser et qu’on gagne plutôt qu’on fasse des 0-0.

Maxime Estève

Il y a eu cette série de 12 matches sans encaisser de but en championnat dont vous n’avez manqué aucune minute...

C’est beau pour nous, pour les défenseurs, mais je signe tout de suite si on me dit qu’on encaisse 20 à 30 buts jusqu’à la fin de la saison et qu’on monte (sourire). Je préfère encaisser et qu’on gagne plutôt qu’on fasse des 0-0.

Jouez-vous le meilleur football de votre carrière ?

Oui, je pense que c’est ma meilleure saison depuis le début. J’ai joué 35 matches d’affilée, j’essaye de faire attention à mon hygiène de vie, à ce que je fais en dehors du terrain. L’année dernière je crois que j’avais joué 32 ou 33 matches sur toute la saison, là on est en mars et j’en ai déjà joué 37 (sourire). J’ai eu quelques petits pépins physiques à Montpellier, donc je me disais qu’il fallait que je fasse attention à moi et à mon corps. C’est une belle saison sur tous les points. Après, elle n’est pas finie. L’objectif à la fin de la saison est de monter.

Les saisons de Championship sont longues avec 46 matches, sans compter d’éventuels playoffs...

Oui c’est très long, très intensif, tu joues tous les 3 jours. Mais au final c’est top, tu enchaînes. Tu ne t’entraînes presque pas, tu ne fais que jouer les matches.

Vous avez porté le maillot de l’équipe de France espoirs. Qu’est-ce que cela représentait pour vous ?

C’était une belle étape. Quand tu vois le vivier de joueurs qu’on a en France, c’est impressionnant. Si tu fais partie de cette liste, c’est gratifiant pour toi, c’est une fierté personnelle. J’étais content, ma famille aussi. Il reste un rassemblement en mars puis la compétition (Euro 2025) cet été. L’objectif est d’en faire partie. J’essaye de mettre toutes les chances de mon côté.

Avez-vous des objectifs à moyen ou long terme, comme jouer l’Europe ou être en équipe de France A ?

Jouer l’Europe, c’est souvent ce dont on parle... Oui, mais je pars du principe que si tu joues en Premier League, pour moi, tu as limite des meilleurs matches que tu n’en as des fois en Ligue des champions dans une équipe plus en difficulté. L’idéal, ce serait de jouer dans un top club européen, mais à l’heure actuelle, l’objectif que je me suis fixé, c’est de jouer tous les ans en Premier League.