Réunis en Congrès, députés et sénateurs votent à une majorité écrasante l’inscription de l’IVG dans la Constitution
Il aura fallu un an et demi pour que le projet aboutisse. La «liberté garantie» de la femme au droit à l’interruption volontaire de grossesse va officiellement faire son entrée dans la Constitution. Après le vote de l’Assemblée en janvier dernier, puis du Sénat la semaine dernière, les parlementaires, réunis en Congrès à Versailles ce lundi, ont voté à une large majorité le projet de loi du gouvernement, à 780 voix pour et 72 contre. Un verdict annoncé sous les applaudissements nourris de l’Hémicycle et sous l’œil attentif des nombreux journalistes internationaux placés en tribune.
L’initiative avait été lancée en juin 2022 par quelques parlementaires de tous bords, parmi lesquelles la patronne des députés Renaissance d’alors, Aurore Bergé, celle des Insoumis, Mathilde Panot, ou encore, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel. Depuis, l’idée a fait son chemin. Des propositions de lois ont été adoptées dans les deux Chambres, avant que l’idée ne soit reprise, fin 2023, par le gouvernement. Désormais, la France va donc être le premier pays au monde à inscrire ce droit dans sa Loi fondamentale.
Les sénateurs de droite ont lâché prise
L’adoption de ce projet de loi ne faisait plus guère de doute. Après avoir été un temps très réticents à plébisciter ce texte, les sénateurs de droite et du centre l’ont finalement largement voté, la semaine dernière, au Palais du Luxembourg. La faute à «une pression médiatique» devenue presque «insurmontable», estiment certains. Après le scrutin favorable de l’Assemblée nationale, fin janvier (493 voix pour, 30 contre), le Sénat a donc aussi validé (267 voix pour, 50 contre), dans les mêmes termes, le projet de constitutionnalisation porté par Éric Dupond-Moretti (Justice) et Aurore Bergé (Égalité entre les femmes et les hommes).
Lundi, lorsque les parlementaires arrivent au Château de Versailles, le suspense n’est donc pas au rendez-vous. Pour la gauche, qui milite depuis plusieurs années pour que ce droit soit inscrit dans la Constitution, l’heure est déjà à la fête et aux sourires. Les mines ravies des sénatrices socialistes ou encore des députées écologistes, dans la Cour du château, en début d’après-midi, en attestent. Un peu plus tôt, dans les cars qui les emmènent de Paris au château, l’ambiance est bon enfant. «L’enthousiasme est au rendez-vous mais beaucoup sont impressionnés de ce qu’ils vivent», s’amuse une source socialiste, installée au fond du bus. Avant d’ajouter, sourire aux lèvres : «Ça fait un peu colonie de vacances, on a même lancé des chants».
Du côté de la droite, l'ambiance est plus philosophique. Salle des Deux Colonnes, en déambulant au milieu des sublimes œuvres, un député LR lâche, presque fataliste : «Je vais le voter car je ne veux pas me retrouver dans le camp des anti-IVG... Et puis, il ne faut pas attendre qu'un droit soit menacé pour l'inscrire dans la Constitution». Un peu plus tard, dans la Cour, c'est le patron des sénateurs centristes, Hervé Marseille, défavorable à ce projet de loi, qui avoue sans ambages : «De toute façon, nos arguments ne sont pas audibles. Nous parlons de Constitution, on nous répond IVG. La messe est dite, l'opinion a tranché et le vent était très favorable, maintenant, passons à autre chose».
Entre émotion et fatalisme
Petit à petit, députés, membres du gouvernement et autres personnalités pénètrent dans le bâtiment. La ministre de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé, qui fut la première, dans le camp macroniste, à déposer une proposition de loi plaidant pour la constitutionnalisation en juin 2022, arrive tout sourire, au côté de sa mère, celle qui lui «a transmis ce combat». «Une belle journée», lâche-t-elle en passant devant une nuée de journalistes. L’ancienne ministre socialiste de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, est également présente.
Mélanie Vogel, l’écologiste qui a porté le combat au Sénat, fait aussi son entrée, émue. «Je suis dans une sorte de nervosité et en même temps pleine d’euphorie. J’ai conscience que nous sommes en train d’écrire une grande page de l’Histoire», s’enthousiasme-t-elle. L’ancienne première ministre, Élisabeth Borne, ne résiste pas de son côté à envoyer une pique à l’adresse de la droite, s’amusant de son changement de pied de dernière minute, au Sénat. «Quelques années après le mariage pour tous, ils ont compris qu’il serait tout de même dommage de rater les trains quand ils passent», raille-t-elle.
«La puissance d’une idée dont le temps est venu»
Dans l’Hémicycle, un peu plus tard, l’ambiance est solennelle. Le décor, aux nombreuses références monarchiques, impressionne. Les prises de parole sont respectueuses. Les noms d’oiseaux fréquemment lancés dans l’enceinte du Palais Bourbon ne sont pas de sortie. Il faut dire que, classés par ordre alphabétique, sénateurs et députés ont souvent pour voisin un adversaire politique qu’ils ne connaissent pas forcément. On se salue ainsi poliment, cherchant du regard ses habituels camarades de bancs.
On se félicite aussi, d’un «grand temps démocratique», dixit la sénatrice centriste Dominique Vérien. Ou même, d’un «moment historique arraché par une victoire parlementaire», selon les mots de la patronne du groupe Insoumis à l’Assemblée, Mathilde Panot, dont la proposition de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution fut la première, en novembre 2022, à être adoptée au Parlement. Perchée au-dessus de la tribune, Yaël Braun-Pivet, première présidente d’un Congrès, savoure le moment et dit toute sa «fierté».
Un sceau fait «de larmes et de sang»
Juste en-dessous, la gauche savoure sa victoire idéologique. «Quel bonheur, quelle fierté», savoure la sénatrice socialiste Laurence Rossignol pendant que l’écologiste Cyrielle Chatelain salue «la puissance d’une idée dont le temps est venu». La vice-présidente RN de l’Assemblée, elle, irrite les élus de gauche en accusant «leur féminisme flamboyant» de se changer «subitement en mutisme lors des menaces réelles pour les droits des femmes, à commencer par l’islamisme».
Un peu plus tôt, c’est non sans emphase, que le premier ministre, Gabriel Attal, a pris la parole, saluant le début de «l’ère d’un monde d’espoir», avant d’estimer que le sceau qui scellera ce changement constitutionnel «sera fait de larmes et de sang», évoquant alors les femmes qui ont payé «de leur vie», dans le passé, le non-accès à l’IVG. «Oui, la liberté d'avorter reste en danger, consubstantiellement menacée», lance-t-il ensuite, avant de rendre un hommage, unanimement respecté, à Simone Veil, dont la loi autorisait, en 1975, l’IVG. Désormais, ce droit sera donc inscrit dans la Constitution.