"L'Apocalypse" s'abat sur la bibliothèque François-Mitterrand à Paris
Jusqu'au 8 juin prochain, la Bibliothèque nationale de France (BnF) plonge dans L'Apocalypse. Le site François-Mitterrand, sur la rive gauche de la Seine à Paris, consacre pour la première fois une grande exposition à ce thème crépusculaire qui résonne depuis deux mille ans dans la culture occidentale et n'a cessé d'inspirer les artistes.
Quand de gigantesques incendies ravagent Los Angeles en janvier 2025, ce mot revient comme une antienne : "C'est l'Apocalypse." Dans la Cité des anges flotte un parfum de fin du monde. Guerres, holocauste, bombe atomique, attentats, tremblements de terre, tsunamis, cyclones... la liste des cataclysmes qui réveillent périodiquement le dragon endormi est longue. D'où vient ce mot omniprésent dans l'univers médiatique ? Que recouvre-t-il précisément ? Cette exposition très complète, riche de 300 pièces (livres rares, tableaux, tapisseries, vitraux, BD, photos, sculptures, vidéos...), éclaire nos ténèbres.

Au sens originel, ce mot venu du grec ne signifie pas catastrophe, mais révélation, dévoilement, mise à nu. Apocalypse est le titre du dernier livre de la Bible, écrit par un certain Jean sur l'île grecque de Patmos, vers la fin du 1er siècle de notre ère. On le surnomme Jean le Visionnaire. "Il pourrait s'agir de saint Jean l'Évangéliste, mais sans certitude", explique Jeanne Brun, commissaire générale de l'exposition et directrice adjointe du Musée national d'art moderne - Centre Pompidou. Son message est à la fois menaçant et consolateur puisqu'il annonce le Royaume de Dieu. "L'injonction qui nous est faite dans l'Apocalypse, à travers Jean, c'est de cesser de s'aveugler sur les événements de son temps, ajoute-t-elle, de voir les vérités cachées et de les donner à voir."
Cette fonction de voyance a été reprise par les poètes et les artistes, en particulier les surréalistes, qui jouent avec l'idée de révélation des choses cachées, de l'inconscient, du refoulé. Un "mur des yeux" installé en début de parcours réunit sur ce thème des œuvres de différentes époques dont deux manuscrits d'Arthur Rimbaud, chefs-d'œuvre de la BnF. En 1871, le poète ardennais écrivait : "Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens."
Le Livre de la Révélation
La première partie de l'exposition explore le texte, court, mais complexe, de Jean. "Il ne représente que quelques pages si vous feuilletez la Bible, mais il est très dense. On y progresse difficilement", raconte Jeanne Brun. "Raison pour laquelle, dès l'époque médiévale, on a eu besoin du soutien des images pour consolider la compréhension qu'on avait de ce texte." Il existe par conséquent une longue tradition de représentations picturales chrétiennes de ce récit surchargé de prophéties et de symboles.
Une longue salle en forme de nef, divisée en cellules, dévoile les séquences de l'Apocalypse les plus représentées par les artistes : l'ouverture des sept sceaux, les sept trompettes, le combat de saint Michel contre le dragon, les deux bêtes monstrueuses, les sept coupes et la chute de Babylone, le Jugement dernier et la Nouvelle Jérusalem. "Tous ces grands épisodes sont racontés dans cet espace à travers les manuscrits et les images", explique la commissaire générale.

Charlotte Denoël, cheffe du service des manuscrits médiévaux et de la Renaissance de la BnF, s'arrête sur un livre magnifique : la première Bible de Charles le Chauve, un manuscrit peint sur parchemin du IXe siècle : "Il contient tous les livres de la Bible dont le dernier livre, celui de l'Apocalypse. En frontispice, il y a l'une des plus belles figurations synthétiques de l'Apocalypse dans l'art médiéval. Elle contient tous les symboles de l'Apocalypse."
Autre trésor de l'exposition : Le Beatus de Saint-Sever, l'une des plus somptueuses Apocalypses du Moyen Âge, réalisée au XIe siècle. Elle est ouverte sur une double-page aux couleurs incroyablement vives où l'on voit le Christ affronter trois Cavaliers de l'Apocalypse. Juste à côté, un dispositif numérique permet de tourner virtuellement les pages du Beatus pour voir ses figures prendre vie.
La fortune de l'Apocalypse
Une fois l'ensemble du texte dévoilé, l'exposition s'intéresse à la fortune de l'Apocalypse à travers les siècles. C'est l'un des récits bibliques, diffusé au Moyen Âge, qui a eu la plus longue influence. L'exposition présente notamment trois fragments et des projections de la fameuse Tenture de l'Apocalypse d'Angers réalisée à la fin du XIVe siècle. Elle montre aussi sur le rôle essentiel d'Albrecht Dürer qui, grâce à sa série de gravures sur bois, fut l'un des principaux artistes ayant contribué à "consolider" cette imagerie.
L'exposition permet de comprendre à quelles périodes l'humanité a besoin de ce récit pour comprendre les épreuves qu'elle traverse. Le mot ressurgit toujours dans les périodes de troubles, les temps de bascule. Une superbe série de dessins de Goya intitulée Les Désastres de la guerre s'ouvre sur la figure du Prophète, celui qui voit, comme Jean, et se clôt avec un monstre qui avale ou vomit des humains. Il renvoie à la bouche de l'enfer dans laquelle sont enfournés les damnés dans l'Apocalypse.

Quand le Douanier Rousseau peint La Guerre pour décrire la désolation d'un champ de bataille de la Première Guerre mondiale, il reprend des motifs de l'Apocalypse : un cheval effrayant, une femme armée d'un glaive apportant la mort et, dans le bas du tableau, des cadavres dévorés par des oiseaux, image de la colère de Dieu qui s'abat sur l'humanité.
De superbes gravures sont également consacrées à la chute des damnés. Ce thème "phare" de l'Apocalypse est repris par certains artistes contemporains comme Xie Lei, un artiste chinois vivant en France. Son tableau, très impressionnant, évoque un homme qui chute vers l'abîme. Ce "damné", impossible à secourir, est peut-être une référence à ces migrants qui se noient dans les eaux de la Méditerranée, les nouveaux damnés de la Terre.
Le cinéma n'est pas en reste
Dès le début du XXe siècle, le cinéma s'empare des images de l'Apocalypse. Un petit écran présente un extrait du film Faust de Wilhelm Murnau (1926) avec l'horrible chevauchée des Cavaliers de l'Apocalypse, un autre, le Metropolis de Fritz Lang (1927) avec la grande prostituée de Babylone assise sur la bête.
Plus spectaculaire, un immense panneau, composé de neuf écrans, joue sur l'idée du dévoilement (sens premier du mot Apocalyse) : les images des films sont floues et finissent par devenir nettes. François Angelier, le journaliste et essayiste qui l'a conçu, explique : "Le cinéma depuis ses origines a toujours traité les trois dimensions de l'Apocalypse : l'angoisse millénariste, la survenue de l'Apocalypse omniprésente dans les blockbusters avec des techniques de plus en plus sophistiquées permettant de donner une représentation de la catastrophe et le post-apocalyptique." Il a choisi neuf œuvres qui en témoignent. Autre film présenté dans l'exposition : Melancholia de Lars von Trier (2011). Le réalisateur, toujours très inspiré par les thèmes apocalyptiques, y racontait l'histoire d'une famille attendant qu'une gigantesque planète percute la Terre.

La dernière partie de l'exposition est largement consacrée aux artistes contemporains. Particulièrement impressionnant, le triptyque d'Anne Imhof, peint en 2022, semble prémonitoire tant il semble s'inspirer des mégafeux de Los Angeles. L'artiste franco-libanais Ali Cherri apporte, lui, une vision plus joyeuse avec son superbe Arbre de vie, inspiré par la fin du texte de l'Apocalypse. Cette sculpture symbolise pour lui le cycle du vivant.
Là où certains pensent que la fin du monde est pour demain, beaucoup d'artistes contemporains voient dans l'effondrement en cours de notre monde, les germes d'une possible régénération. Ils défendent une vision plus cyclique avec l'idée que les civilisations naissent, grandissent, s'effondrent et quelque chose de différent renaît. Alors No Apocalypse ou Apocalypse Now ? "Viens et vois" dit le livre de Jean.
"Apocalypse, hier et demain" à la BnF, site François-Mitterrand, du 4 février au 8 juin 2025, quai François Mauriac, 75013 Paris, du mardi au samedi de 10h à 19h et le dimanche de 13h à 19h.
Plein tarif à 15 euros et tarif réduit à 13 euros.