L’AfD à droite et le BSW à gauche, les deux faces du populisme allemand
Elle a dénoncé l’immigration "incontrôlée", s’en est pris aux élites au pouvoir et a critiqué les sanctions contre la Russie lors du congrès de son parti, dimanche 12 janvier. Elle ne s’appelle pourtant pas Alice Weidel et ne dirige pas le parti populiste d’extrême droite Alternative für Deutschland, qui défend toutes ces positions.
Son nom est Sahra Wagenknecht. Et elle compte bien faire en sorte que l’Allemagne s’en souvienne puisqu’elle a n’a pas hésité à appeler son parti ancré à gauche, et né il y a un an à peine, Alliance Sahra Wagenknecht (Bündniss Sahra Wagenknecht, BSW).
Cette ancienne dirigeante du parti radical Die Linke apparaît de plus en plus comme le pendant à gauche de la dirigeante de l’AfD. Le fait que les deux femmes aient organisé ce week-end les congrès de leur formation respective, à un peu plus d’un mois des élections générales anticipées du 23 février, renforce l’impression d’un front populiste unissant la gauche radicale à l’extrême droite qui accapare le débat public.
De l'extrême droite à la gauche radicale
À l'autre bout de l'échiquier politique, Alice Weidel surfe sur la vague du populisme de droite depuis plusieurs années. Elle a été nommée co-dirigeante de l’AfD en 2017 et après avoir été désignée comme la représentante du flanc "modéré" de ce parti ultra-conservateur, Alice Weidel semble avoir pris un tournant beaucoup plus extrémiste. Lors du congrès de son parti, samedi 11 janvier, elle a ainsi "eu recours au terme très controversé de ‘remigration’ et évoqué des expulsions de masse [d’immigrés]", souligne Ed Turner, spécialiste de la politique allemande à l'université Aston de Birmingham. Jusqu’à récemment, ce concept de remigration était tabou dans le débat public allemand.
Sahra Wagenknecht semble être tombée dans la marmite du populisme plus récemment. Elle a quitté Die Linke en septembre 2023 pour former son parti BSW qui a, souvent, été désigné comme "conservateur de gauche". Mais c’est surtout un mouvement qui "sur l’échelle du populisme se trouve à mi-chemin entre le parti Die Linke et l’AfD", résume Jan-Philipp Thomeczek, politologue et spécialiste des populismes à l’université de Potsdam.
L’AfD d’Alice Weidel et le BSW de Sahra Wagenknecht partagent les mêmes composants d’un parti populiste : "Ils se font tous les deux passer pour des représentants de ‘l’esprit du peuple’ qui portent haut les couleurs de l’anti-élitisme", résume Jan-Philipp Thomeczek.
Il est d’ailleurs plus facile de trouver dans leurs programmes et discours respectifs des similarités que des différences. Ces deux partis "ont adopté la même attitude à l’égard de la Russie et de Vladimir Poutine : ils sont contre les sanctions pesant sur la Russie, veulent continuer à importer des hydrocarbures russes et appellent à réduire l’aide apportée à l’Ukraine. Ils se distinguent aussi par une même critique de l’influence culturelle nord-américaine. Enfin, Alice Weidel comme Sahra Wagenknecht ont vivement critiqué la politique migratoire allemande depuis l’époque de l’ex-chancelière Angela Merkel [qui a mis en place en 2015 une politique très accueillante, notamment pour les réfugiés syriens, NDLR]"; détaille Frank Brettschneider, spécialiste de communication politique à l’université Hohenheim de Stuttgart.
Plusieurs nuances de brun
Les deux partis semblent également partager une même approche de la lutte contre le réchauffement climatique. "Ils sont tous les deux sceptiques", note Jan-Philipp Thomeczek.
L’AfD et le BSW, ce n’est pas non plus blanc bonnet et bonnet blanc. Le climat est, à cet égard, un bon exemple des nuances qui peuvent exister : "L’AfD remet en cause la réalité même du réchauffement climatique d’origine humaine, tandis que le parti de Sahra Wagenknecht ne va pas aussi loin", précise Jan-Philipp Thomeczek.
Entre les deux formations, ce serait surtout une histoire de nuances de brun. Si les thématiques sont les mêmes "l’AfD se montre beaucoup plus radicale", affirme Werner Krause, politologue à l’université de Potsdam. Ces différences peuvent parfois être très subtiles. Ainsi, quant il s’agit d’attaquer "l’establishment", "l’AfD va parler des vieux partis, ce qui a une connotation négative, tandis que Sahra Wagenknecht préfèrera évoquer les partis établis, ce qui est plus neutre", analyse Jan-Philipp Thomeczek.

Parfois, c’est plus flagrant : "L’AfD n’hésite pas à avoir recours au terme de ‘Volk’ (peuple), qui a une connotation historique très marquée en Allemagne [utilisée par le régime nazi, NDLR], tandis que le BSW préfèrera parler de ‘travailleurs’", précise ce spécialiste du populisme.
Économiquement, les similitudes ne sont que de façade. Si à la tribune, Alice Weidel adopte un ton empreint d’une fibre sociale, "son programme est clairement libéral, et ce n’est pas un hasard si elle a accepté de discuter sur X avec Elon Musk. Durant ce face-à-face virtuel, ils n’ont pas seulement parlé d’immigration, mais aussi de réformes économiques libérales", explique Werner Krause. Sahra Wagenknecht ne s’est d’ailleurs pas privé de qualifier sur un ton méprisant sa rivale de l’AfD de "fan girl" de l’homme le plus riche du monde.
Une Allemagne de plus en plus polarisée
Leur populisme, qui fonctionne avec les mêmes ressorts, "pourrait faire croire qu’il s’adresse au même électorat", estime Werner Krause. L’électeur allemand désabusé par les partis en place, prompt à blâmer la politique migratoire pour les problèmes économiques du pays aurait dorénavant le choix entre l’AfD et le BSW. Ainsi, l’émergence du parti de Sahra Wagenknecht "a été perçu comme une menace électorale pour le parti d’extrême droite", ajoute cet expert.
Pourtant, l’AfD continue à pointer très haut dans les sondages – en deuxième place derrière la CDU (chrétien démocrate de centre droit) à plus de 20 % des intentions de vote pour les législatives de février – tandis que le BSW peine à dépasser le seuil critique des 5 % qui lui permettrait d’entrer au Bundestag.
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"Ce qu’on constate, c’est que le parti de Sahra Wagenknecht cannibalise davantage le vote pour les partis de gauche, comme le SPD (parti de centre gauche)", souligne Ed Turner. Pour cet expert, le BSW a un discours et un programme calibré sur mesure pour les électeurs déçus de la gauche en ex-Allemagne de l’Est qui n’osent pas pour autant voter pour l’extrême droite. Mais Sahra Wagenknecht n’aura jamais le même attrait que l’AfD pour l’électeur déçu de CDU tenté par un vote contestataire, selon Ed Turner.
Si le parti de Sahra Wagenknecht obtient 5 % ou plus des votes en février, "ce serait une sacrée victoire pour elle", affirme Werner Krause. C’est, en effet, la première fois que sa formation se présente à une élection fédérale. "Il ne faut pas oublier qu’en 2013 lorsque l’AfD a participé à ses premières élections législatives, elle avait raté de peu les 5 % [4,7 %] et on sait à quel point le parti d’extrême droite a progressé depuis", souligne Werner Krause.
Ce serait aussi un révélateur de l’ambiance politique en Allemagne. Une poussée des populistes aux deux extrémités de l’échiquier politique "dénoterait de l’impact politique de la dégradation de la situation économique du pays", estime Ed Turner. Pour Werner Krause, c’est aussi la preuve que l’Allemagne bascule lentement dans un état de polarisation politique qui n’est pas sans rappeler la situation aux États-Unis. "On assiste à un fossé qui se creuse dans l'électorat allemand sur les questions sociétales comme l'immigration, le climat ou les questions de genre. D'un côté, il y a les électeurs progressistes, de l'autre ceux qui se rangent dans le camp conservateur, qui se sentent représentés par l’AfD et le BSW."