Guerre en Ukraine : "'Il est très peu probable que Steve Witkoff arrive au Kremlin en mettant le couteau sous la gorge de Poutine", estime un spécialiste
L'émissaire de la Maison-Blanche, Steve Witkoff, est attendu à Moscou, en Russie, mercredi 6 août, à deux jours de la fin de l'ultimatum fixé par Donald Trump à la Russie pour faire cesser les hostilités en Ukraine. Bertrand Gallicher, grand reporter spécialiste des questions internationales, invité de franceinfo mercredi 6 août, réagit à cette visite et à ce que cela pourrait changer pour le conflit.
Ce texte correspond à la retranscription d'une partie de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
Nathalie Layani : L'émissaire de Donald Trump, Steve Witkoff, est en visite à Moscou mercredi 6 août. Il est arrivé au Kremlin à deux jours de la fin de l'ultimatum lancé par Donald Trump à Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre sous peine de sanctions financières. D'abord, qu'est-ce qu'il faut attendre de cette rencontre ? Est-ce que c'est une rencontre de plus ? Est-ce qu'elle peut être décisive ?
Bertrand Gallicher : La première question qui se pose et à laquelle on n'a pas de réponse pour l'instant, c'est : va-t-il rencontrer Vladimir Poutine ? Pour l'instant, le Kremlin ne le dit pas. C'est vraisemblable, car si ce n'était pas le cas, ce serait quand même un camouflet pour l'émissaire spécial de Donald Trump. En même temps, Donald Trump était quand même prêt à envoyer Witkoff, même si le Kremlin ne l'avait pas sollicité. Il y a deux questions qui interrogent. Soit Witkoff arrive avec dans sa mallette des propositions concrètes pour mettre fin à la guerre, mais ça ne sera certainement pas, malheureusement, à l'avantage de l'Ukraine. Soit, il y va pour voir un peu ce que Poutine a l'intention de faire. Mais dans tous les cas, c'est une visite à haut risque pour Kiev, pour les Ukrainiens, parce qu'il est très peu probable que Steve Witkoff arrive au Kremlin en mettant le couteau sous la gorge de Poutine et en lui disant : voilà, si vous n'arrêtez pas cette guerre, nous livrerons des missiles à portée intermédiaire à l'Ukraine et les choses vont changer. Nous allons armer de façon très forte les Ukrainiens. Ça, c'est une hypothèse que pourraient espérer les Ukrainiens, mais qui n'est pas crédible.
Vladimir Poutine a toujours les mêmes exigences
Il y a aussi la question des sanctions économiques secondaires. Donald Trump en a beaucoup parlé ces derniers jours. Ça ne pèse pas dans la balance, ça ?
Pas tellement, parce que le Kremlin n'y croit pas, en tout cas fait mine de ne pas s'inquiéter des sanctions qui sont prévues par Donald Trump. D'ailleurs, vous avez noté que Trump a dit mardi 5 août qu'il n'avait jamais fixé de taux de pourcentage de sanctions secondaires à la Chine et à l'Inde, qui sont donc des sanctions qui seraient susceptibles de peser sur les revenus du pétrole russe. Donc c'est un revirement ou en tout cas un pas en arrière, alors que la Maison Blanche avait déjà effectivement fixé ce taux de 100% de taxes qui seraient imposées aux produits indiens et chinois, notamment exportés vers les États-Unis. Il y a quand même une question de crédibilité de fond dans cette histoire. La méthode Trump, c'est : on va discuter et puis on verra bien. C'est une expression qu'il emploie régulièrement, notamment dans Air Force One ou au pied de son hélicoptère. Ça dit que finalement, on propose à l'interlocuteur un moyen de donner une réponse et puis avec une incertitude énorme. Ça a très bien fonctionné. D'un point de vue personnel, pour Trump, dans ses affaires, il a engrangé des milliards de dollars. Ça a merveilleusement fonctionné sur l'affaire des droits de douane. Avec Poutine, ça peut être complètement différent parce que Poutine, pour l'instant, n'a pas bougé une oreille. Il y a toujours les mêmes exigences en ce qui concerne l'Ukraine et une éventuelle paix ou en tout cas un cessez-le-feu. Alors lui, Poutine ne parle pas de cessez-le-feu, mais il veut une paix à ses conditions. Et donc pour l'instant, le Kremlin n'a pas varié d'un iota.
Et vous disiez peut-être que Steve Witkoff va en Russie pour essayer de voir quelles sont les cartes que Poutine mettrait sur la table. On connaît les demandes de Poutine. Sur quoi pourraient lâcher les Américains ?
Sur un allègement des sanctions qui pèsent sur la Russie, sur la technologie, sur les exportations, sur le pétrole. Ça serait une catastrophe absolue pour les Ukrainiens. Mais malheureusement, il y a des signaux qui vont dans ce sens-là. D'une part, le fait que Trump ait raccourci cet ultimatum. Au départ, on parlait de 50 jours. Après, il a parlé de 12 jours, puis de 10 jours. Et maintenant, il accepte d'envoyer un émissaire avant la fin de l'ultimatum et avant que la Russie ait répondu à cet ultimatum. Donc en termes de négociation, pour quelqu'un qui est un expert justement de la négociation, ce n'est pas très encourageant pour l'issue de cette discussion.