REPORTAGE. "De plus en plus de gens inexpérimentés" : les secouristes en montagne face au "tourisme Instagram"
La montagne a toujours la cote, pour le bonheur des uns et le malheur des autres. Avec les fortes chaleurs, les promeneurs sont nombreux à aller chercher l'air frais dans les massifs. En Isère par exemple, du côté de Grenoble, avec un mercure qui frise les 40°C, il y a du monde aux abords des lacs. Les flâneurs sont parfois guidés par les photos et vidéos alléchantes publiées sur les réseaux sociaux, quitte à se mettre en danger et à solliciter, ensuite, les secouristes. En effet, ces randonneurs amateurs n’ont pas toujours les bons réflexes en matière de sécurité, comme franceinfo l'a vérifié dans le massif des Écrins, près de la commune de Vénosc.
La cascade de la Muzelle apparaît sur des milliers de photos sur Instagram. Une "petite randonnée", sur le papier, idéale pour Michel et Chantal, retraités grenoblois. "On n'est pas des randonneurs, ni des férus de randonnée, donc, nous, on fait de la balade, on prend les itinéraires balisés et ça s'arrête là", expose Michel. Deux bons élèves bien renseignés, mais ce n'est pas le cas de tout le monde.
"Il y avait une dame avec sa fille qui étaient là, reprend le retraité, je lui ai expliqué qu'il fallait déjà 50 minutes pour aller jusqu'au point de départ de la randonnée du lac de Lauvitel et qu'après, il fallait 1 heure 30. Elle ne s'attendait pas à ça, elle pensait que c'était à côté, qu'elle descendait de la télécabine et qu'elle commençait l'ascension."
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Pour arriver à la cascade, le chemin grimpe effectivement un peu. Quatre jeunes venus de Paris font une pause sur les rochers, pour eux cela a l'air plus dur que prévu, "totalement", acquiescent-ils. Pourtant, l'un d'eux, Juliano, a bien regardé le parcours avant de venir. "Je suis allé sur le site des Deux-Alpes, tout simplement. J'ai cherché le plan de toutes les randonnées et on a cherché ce qui nous intéressait, en l'occurrence la cascade, et maintenant, on suit le plan", explique-t-il.
Mais ils n'ont peut-être pas fait attention à la difficulté du parcours. "J'avoue qu'on n'a pas réellement regardé, confesse le jeune homme. On y est allés au feeling et si on voit que c'est trop compliqué, on rebrousse chemin. Mais pour l'instant, ça s'est bien déroulé jusque-là." "Quand on est redescendus, on a eu chaud de trois fois quand même, nuance l'un de ses compagnons. Du coup, c'est pas mal qu'on soit plusieurs, plutôt que tout seul ou juste deux."
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Sur le chemin, beaucoup utilisent des applications pour se repérer. C'est déjà bien, mais pas infaillible. Corentin, originaire de Lyon, en a fait les frais : "Moi, ça m'est déjà arrivé par le passé d'utiliser l'application Visorando et, parfois, le GPS ne m'emmenait pas tout à fait vers la bonne direction. Je commençais à bifurquer, même proche d'un ravin, on s'est arrêté juste à temps." Il termine l'ascension avec sa compagne Agustina. Une fois devant la cascade, impossible de ne pas prendre la photo. "C'est très très beau, dit-elle. Ça vaut l'effort que nous faisons, c'est un peu la récompense." Une image qui donnera peut-être envie à d'autres promeneurs de tenter la même randonnée.
Les secouristes de montagne agacés par ce tourisme
Les bureaux de la CRS Alpes, à Grenoble, sont en ébullition. Jérémy Pesantier, gardien de la paix, présente la salle d'alerte : "C'est là où on prend toutes nos alertes, où le téléphone sonne. On traite plus ou moins une dizaine d'alertes par jour". Cela correspond à 40, voire 50 interventions par semaine concernant les randonneurs habituels, mais aussi un nouveau public. "On rencontre peut-être de plus en plus de gens qui sont inexpérimentés, notamment via les réseaux sociaux, explique le policier.
"Il y a pas mal de gens qui ont vu des photos sur les réseaux sociaux, qui essaient d'aller retrouver ces endroits et qui, du coup, n'ont jamais mis un pied en montagne. Et ils sont vraiment inexpérimentés avec des équipements inadaptés."
Jérémy Pesantier, gardien de la paix à la CRS Alpes de Grenobleà franceinfo
Il y a aussi ceux qui font trop confiance à leur téléphone. "Il y a pas mal de gens qui partent sur des coups de tête, reprend Jérémy Pesantier, qui ne sont pas organisés et puis qui se fient un peu à ce qu'ils trouvent sur les réseaux sociaux et sur les applications qui proposent des itinéraires, qui sont parfois proposés par d'autres utilisateurs et qui ne sont pas forcément sur des chemins de randonnée. Derrière, ils se retrouvent bloqués parce qu'ils n'ont pas le niveau technique pour aller sur cette randonnée."
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Entre deux interventions, les secouristes surveillent les réseaux sociaux et certaines vidéos leur hérissent les poils, comme celle-ci : "Comment notre randonnée s'est transformée en cauchemar sachant qu'on n’était pas du tout équipés et qu'on n'a aucune pratique de randonnée ? Peut-être que la dernière randonnée que j'ai faite date de novembre et encore parce que j'ai pris un téléphérique. On n'était tellement pas habitués, on faisait pause sur pause, sauf que la tombée de la nuit arrivait à grands pas et on a commencé notre randonnée à 14h. Et à la fin, on a su que c'était aussi infesté d'ours."
Le jugement du gardien de la paix est sans appel : "Une randonnée de difficulté cinq étoiles, donc potentiellement trop difficile pour elles, alors qu'elles le disent elles-mêmes, elles sont inexpérimentées. Elles ne sont pas du tout équipées et pas du tout renseignées parce qu'il n'y a pas d'ours, notamment dans Belledonne."
Un public parfois irrespectueux de la montagne
Les promeneurs inconscients attirés par les réseaux sociaux, cela n'arrive pas qu'en été. "On a eu beaucoup de cas cet hiver, rappelle Lionel Chatain, bbrigadier-chef de la CRS Alpes. Une série de secours de gens qu'on est allés chercher parce qu'ils ont vu des photos magnifiques de couchers de soleil au sommet, ils voulaient faire pareil. Donc, ils arrivaient en train de la région parisienne pour aller faire la même photo. Sauf qu'on est en hiver et qu'ils n'avaient pas du tout percuté finalement qu'en hiver, il n'y a plus de chemins, qui sont recouverts par la neige, que la neige parfois, c'est dur, qu'il faut des crampons, que la nuit tombe très tôt, qu'il peut faire très froid et ils s'éclairent avec le flash du téléphone... Et en fait ça ne marche pas."
Un public qui ne connaît pas la montagne et parfois ne la respecte pas. "Ils font leur bivouac, ils boivent des bières, ils font un feu alors que c'est interdit et puis ils abandonnent même leur matériel sur place. On se retrouve des fois avec plusieurs tentes, des matelas, des duvets, avec les poubelles qui vont avec. Et puis les gens sont repartis. Ils ont abandonné le matériel, ils s'en moquent", se désole le brigadier-chef. C'est pourquoi certains sites sont désormais interdits au bivouac pendant l'été.