Olivier Babeau : «Pourquoi je reste sur X alors que les “progressistes” fuient le réseau de Musk»
*Olivier Babeau est président de l’Institut Sapiens, fondateur des Rencontres des Sablons. Dernier ouvrage : « La Tyrannie du divertissement » (Buchet-Chastel).
Quelques départs du réseau X, anciennement Twitter, annoncés avec publicité, ont indirectement mis le réseau en accusation. Utilisateur (compulsif) sans autre intérêt à l’affaire, je partage quelques réflexions.
Les départs reflètent un malaise réel, en particulier de médias traditionnels qui ont l’impression de ne plus pouvoir y faire leur travail. Il est vrai que les règles du jeu informationnel ont changé. Les médias ont perdu le contrôle de l’opinion. L’élection de Trump a prouvé une fois de plus que l’unanimité ou presque de tous les médias contre un candidat n’avait aucun impact. Et même jouait probablement à rebours. C’est angoissant à maints égards. Pour les médias eux-mêmes bien sûr. Mais aussi parce que l’effet de ces réseaux est la polarisation des opinions. L’idée que le mensonge et l’erreur puissent régner et écraser la vérité fait légitimement peur. Arriverons-nous à continuer à entretenir un dialogue constructif et ouvert fondé sur les faits ? Sommes-nous condamnés avec ces réseaux au règne de l’obscurantisme, de l’outrance ? Sommes-nous irrémédiablement soumis aux manipulations d’un algorithme qui nous suggère quoi penser ?
Je ne resterais pas sur X si je le croyais. Peut-être ai-je une expérience non représentative. Je ne suis pas un grand journal. Après tout chacun a des contenus différents sur son «fil», en fonction de ses actions et goûts. J’ai la chance sur ce réseau de ne pas être harcelé, de ne pas être (trop souvent) menacé. J’y lis des analyses économiques originales. J’y apprends la publication d’articles et de livres qui m’intéressent et que je vais consulter. J’y découvre des opinions intelligentes qui me font parfois changer d’avis. J’y apprends des choses. Bref, je m’y informe. Oui, certains commentaires sont violents, insultants. Je m’en fiche et ne les lis en général pas. Ni le temps ni l’envie. Je ne vais pas sur X pour « débattre », mais dire ce que je pense, mettre au courant d’une actualité, et passer à autre chose. Et tant mieux si des gens me lisent. C’est vrai que depuis quelque temps j’ai vu passer plus de théories du complot et d’idées violemment fausses. Elles me déplaisent et je veux lutter contre elles de toutes mes forces, spécialement quand il s’agit du nouvel antisémitisme presque décomplexé qu’on peut y lire.
Mais je continue à trouver sur X plus d’avantages que d’inconvénients.
J’apprécie ce réseau car je peux, sans demander la permission ni dépendre de personne, m’adresser à des millions de gens.
Olivier Babeau
X permet à tout le monde d’être son média personnel. Et de suivre des gens qu’il choisit. C’est à chacun de se bâtir son fil et d’exclure qui il veut. Personne n’est obligé de me lire. Je ne suis obligé de lire personne.
Aucun algorithme de sélection des contenus n’est parfait. Mais ce que je sais, c’est que la sanction automatique de toute expression jugée offensante pratiquée par un célèbre ex-trombinoscope ne saurait être un modèle. Ma compagne gère un gros groupe sur un réseau social aux Etats-Unis. Ce que je vois de l’intolérance vis-à-vis de toute expression, de toute pensée alternative (même calme, argumentée, apaisée) sortant un tant soit peu de la ligne étroite des discours acceptables me glace. Les gens passent leur temps à exiger de l’administrateur qu’il fasse taire les autres. C’est pour moi l’anti-modèle absolu. Un réseau social ne peut pas être un groupe de catéchisme où il n’est permis que de s’assembler pour entonner les antiennes admises.
J’ai bien plus peur d’un réseau où, au nom d’une prétendue lutte contre la «haine», de la volonté de protéger «les sensibilités», on interdit toute expression dissonante, tout ce qui pourrait ne pas correspondre avec l’esprit du temps. La liberté d’expression ne peut pas être que celle de mes propres idées. Et elle ne peut surtout pas être limitée à ce qui est censé être «vrai», «bon» ou «juste» d’après les milieux autorisés. Si elle est limitée, elle n’est plus la liberté d’expression. Dire des bêtises en fait partie.
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Je ne partirais pas d’un réseau parce qu’on peut tout y dire (dans les limites de la loi). Je partirais si cette liberté au contraire cessait. Je quitterais avec amertume un réseau où il ne serait pas possible d’y avoir des opinions contraires aux miennes. J’ai la censure en horreur.
J’apprécie ce réseau car je peux, sans demander la permission ni dépendre de personne, m’adresser à des millions de gens. Quand je vois des choses désagréables ou stupides, je passe mon chemin. Quand je vois des choses fausses qui valent la peine d’être rectifiées, j’essaye de le faire. Pour moi cet endroit est un immense marché où chacun peut déballer son petit étal de contenu, et trouver (ou pas) un public.
La vérité, c’est que pour beaucoup ce qui est au fond insupportable, c’est que la victoire idéologique de leur camp n’est plus totale.
Olivier Babeau
On ne combat pas l’erreur en faisant taire, mais en laissant dire et en opposant ses arguments, la raison, les faits. Parfois en laissant dire et en se taisant. Car c’est souvent faire trop d’honneur et de publicité à l’erreur que de la réfuter. L’anathème est la défaite de la raison. On ne combat surtout plus l’erreur au XXIe siècle en créant des cénacles réservés pour les expressions autorisées. Il faut aller au combat, ne pas abandonner le champ de bataille. Les fous, les contre-vérités, les sectes et les sectarismes ont toujours existé. Il ne faut juste par leur laisser le champ libre. La communauté des débatteurs de bonne volonté peut prévaloir sur les hystéries.
La vérité, c’est que pour beaucoup ce qui est au fond insupportable, c’est que la victoire idéologique de leur camp n’est plus totale. Panique. Les gens quittent le réseau avec fracas comme un bigot se signe devant une image licencieuse.
Ce qu’on reproche à X, c’est d’être plus conservateur et, mettons, à droite, qu’avant. Le choc ressenti par beaucoup en France vient du fait que les médias de droite étaient jusqu’à présent infiniment minoritaires, et leur début de développement (qui suit logiquement leur existence électorale) est interprété comme une domination. On en est très loin.
Il est possible et souhaitable que d’autres réseaux émergent, où d’autres sensibilités domineront. Cette spécialisation politique des réseaux (qui s’est produite avec les sites de rencontre) est la suite logique et presque rassurante de celle des médias traditionnels. Chacun sait ce qu’il va chercher au Figaro, au Monde ou à Libération, en termes de parti pris. On finit toujours par se grouper par affinités.
Je vous laisse, je retourne sur X.