Ange Leccia, le monde au ralenti

Vue fenêtre depuis le train à Alexandrie, en Égypte. coll perso

Il a déjà filmé Laetitia Casta au Louvre la nuit. Le vidéaste corse, qui revient à la Biennale de Lyon, a cette manière unique d’apprivoiser le temps et l’espace par ses images, qui opèrent comme un récit suspendu.

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Ange Leccia est sur grand écran au cœur des Grandes Locos, nouveau lieu de la Biennale d’art contemporain de Lyon. Ce Corse poursuit paisiblement sa ligne au milieu des plus jeunes artistes, de la Marseillaise Chourouk Hriech qui sculpte le dessin (L’Oasis des oiseaux) au duo Jérémie Danon & Kiddy Smile qui explore la représentation des corps noirs dans le cinéma français (Ride). Mince et vif, il ne fait pas son âge (72 ans depuis avril) et garde cette allure d’éternel prof des Beaux-Arts. Il fut en 1992 l’un des premiers résidents de la villa Kujoyama, à Kyoto, après avoir été pensionnaire à Rome, à la villa Médicis, de 1981 à 1983. 

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Depuis les années 1980, il mène parallèlement « un travail sur l’image en mouvement et une réflexion sur l’objet à partir de matériaux préexistants ». Son installation vidéo, Trois Temps, est une création (de 13 minutes et de 45 secondes) pour la 17e édition de la Biennale de Lyon qui a lieu jusqu’au 5 janvier 2025. Le regard n’y fait que s’échapper de la fenêtre des trains, où le paysage, comme la vie, défile. Comme toujours avec ce poète, depuis son premier film Stridura (1980), il « développe des installations minimales, des “arrangements” qui revisitent la question du ready-made à travers des face-à-face d’objets industriels, où la mythologie du cinéma est très présente ». La Déraison du Louvre, en 2006, avec Laetitia Casta qui déambule dans le musée, la nuit, au milieu de ses créatures peintes ou sculptées, en est un exemple songeur. 

Pourquoi filmer en Trois Temps ? « Un temps se passe au Japon, un temps au Moyen-Orient et un troisième temps qui est imaginaire, le rêve de l’artiste. C’est un voyage onirique en continu, entre scènes réelles dans les trains – que j’ai beaucoup empruntés au Japon notamment –, et images de fiction qui s’incorporent au récit », nous dit ce vidéaste qui pourrait être peintre. « On voit, au début, une passagère qui rêve, je ne l’ai pas mise en scène. Ce sont des images que j’ai filmées sur les téléviseurs qu’il y a dans les trains. Au Proche-Orient, à l’époque, j’avais pu voyager en Syrie, voir Damas, Alep, Palmyre, où je suis resté un mois en résidence. Bouger et regarder, c’est la vie de l’artiste, tout simplement. J’ai toujours appris de l’autre, c’est l’autre qui m’a appris ce que je suis. Les images ne sont jamais fixes. Une image du début du XIXe siècle change de sens au XXe s., puis au XXIe siècle. L’art n’est pas figé, il se déplace en continu… J’aime regarder l’extérieur, la nature, les éléments, la mer, les arbres, depuis ma fenêtre au cap Corse. J’aime aussi m’imaginer une autre vie en plongeant mon regard au hasard d’une fenêtre, comme dans Fenêtre sur cour d’Hitchcock », ajoute ce fan des maîtres On Kawara, Godard, Antonioni, Pasolini et des « films très lents d’Apichatpong Weerasethakul ». « La fenêtre, la TV, le cinéma…, c’est toujours un tableau. C’est une limite, dans laquelle on veut se concentrer pour recevoir. Regarder à travers ma fenêtre à Paris, me régénère plus, parce que voir les autres êtres qui sont comme moi, c’est déjà une façon d’échanger, de discuter. Je suis contemplatif de nature et de pratique. Si l’on zappe, on ne laisse pas les choses arriver jusqu’à soi. »