Droits de douane : qui sont les «Dirty 15», ces partenaires commerciaux des États-Unis ciblés par Trump ?
Gouvernements, marchés financiers, multinationales : tous retiennent leur souffle à l’approche du 2 avril. C’est ce jour, baptisé «Liberation Day» («jour de la libération»), que Donald Trump a choisi pour annoncer sa nouvelle salve de droits de douane dits «réciproques». L’objectif : aligner les taxes américaines sur celles imposées par les partenaires commerciaux des États-Unis, accusés de tirer profit du déficit commercial américain.
Loin des chimères de la «mondialisation heureuse», ce retour en force de la loi du talion pourrait bien sonner le glas du système commercial multilatéral hérité de l’après-guerre, fondé notamment sur le principe de non-discrimination, qui impose des tarifs identiques pour tous les pays, sauf en cas d’accord commercial. Mais toutes les nations et filières ne sont pas égales face aux menaces de Donald Trump.
Les «Dirty 15» dans le viseur
Obsédé depuis son premier mandat par le déficit chronique de la balance commerciale américaine, Donald Trump cible tout particulièrement une liste noire de quinze pays, surnommés les «Dirty 15», dont les exportations vers les États-Unis dépassent largement les importations. En tête de liste : la Chine, avec un déséquilibre de 320 milliards de dollars en 2024 (hors services), ce qui lui a déjà valu une surtaxe de 20% sur toutes ses marchandises exportées aux États-Unis depuis le 4 mars 2025. Juste derrière, l’Europe des 27, que Trump accusait encore fin février d’avoir été créée «pour emmerder les États-Unis», affiche un excédent commercial de 247 milliards de dollars (toujours hors services).
Viennent ensuite les voisins immédiats des États-Unis, le Mexique et le Canada, qui ajoutent respectivement 176 milliards et 74 milliards de dollars de déficit à la balance américain, et plusieurs pays asiatiques, dont le Vietnam, Taïwan, le Japon, la Corée du Sud, ou encore l’Inde. Au total, la première économie du monde, qui absorbe à elle seule près de 13% des exportations, a ainsi enregistré, pour l’année 2024, 1200 milliards de dollars de déficit commercial. Un record historique, maigrement compensé par l’excédent américain de 300 milliards sur les services.
La France épargnée ?
Pour autant, tous les pays ne sont pas autant exposés au marché américain. Si les exportations vers les États-Unis ne représentent que 2,4% du PIB chinois et 3,1% du PIB de l’UE, elles sont en revanche vitales pour le Vietnam et le Mexique (plus d’un quart du PIB), et considérables pour le Canada, Taïwan et la Thaïlande (plus de 10% du PIB). Une exception en Europe demeure : l’Irlande, qui a construit sa prospérité sur l’accueil des multinationales technologiques et pharmaceutiques américaines et dont près de 40 % des exportations finissent outre-Atlantique.
Et la France dans tout cela ? Notre économie est relativement peu exposée, avec seulement 6,2 % des exportations tricolores allant aux États-Unis. Une hausse des barrières douanières nous toucherait donc moins que le Royaume-Uni (16%) ou l’Allemagne (11%), par exemple. Dans le détail, certains secteurs souffriraient d’un accès restreint au marché américain, notamment l’aéronautique, l’industrie pharmaceutique et les vins et spiritueux, qui y ont exporté pour plus de 4 milliards d’euros en 2023.
L’effet «tariff scares»
S’il semble décidé à appliquer les nouvelles taxes douanières, Donald Trump ne ferme pas pour autant la porte à des négociations après mercredi. Samedi, sur la chaîne américaine NBC News, il s’est dit prêt à des concessions «si les gens sont prêts à nous donner quelque chose de grande valeur» en retour. «Tous les acteurs sont dans l’expectative, car personne ne sait vraiment à quoi s’en tenir», analyse Julien Marcilly, chef économiste chez Global Sovereign Advisory. «L’effet d’annonce est un élément clé de la stratégie américaine actuelle. Saturer l’espace médiatique de signaux contradictoires est le meilleur moyen de mettre leurs partenaires sous pression et de les pousser à des concessions.»
Au-delà de la liste des biens qui pourraient être taxés dès mercredi, le «Liberation Day» risque de déclencher un effet domino sur l’économie mondiale. Le Canada a déjà riposté en imposant une taxe de 25 % sur l’acier et l’aluminium, ainsi que sur plusieurs produits manufacturés et agricoles américains. De son côté, l’Europe a annoncé un «plan solide» de représailles face à cette offensive douanière américaine. Prudente, la Chine prépare déjà la réorientation de ses échanges et a annoncé la reprise de discussions sur une zone de libre-échange «libre, ouverte et équitable» avec le Japon et la Corée du Sud.
Quant aux marchés boursiers mondiaux, ils anticipent le pire. Ce lundi 31 mars, les places asiatiques et européennes ont clôturé en nette baisse : -4,04 % à Tokyo, -3 % à Séoul, -1,58 % à Paris et -1,33 % à Francfort. À Wall Street, l’indice de référence S&P 500, lui aussi dans le rouge, a brièvement touché son plus bas depuis septembre. Tel une prophétie autoréalisatrice, l’effet «tariff scares» («frayeurs tarifaires») pourrait, selon le cabinet Global Sovereign Advisory, amputer la croissance du commerce mondial de près de deux points en 2025.