Victor Jestin : « Gagner, c’est le soulagement de ne pas perdre »

Maud a 30 ans. Elle a un bon métier, un compagnon, un appartement. Tout va bien dans sa vie, mais un soir, alors qu’elle joue sur son téléphone, elle provoque un accident de voiture. Au lieu de s’arrêter, elle prend la fuite et se met à jouer frénétiquement au bowling, aux fléchettes, au foot… Elle vient de replonger dans une vieille addiction au jeu. Que s’est-il passé ? Victor Jestin nous raconte les coulisses de son troisième roman La Mauvaise joueuse.

LE FIGARO. - Comment on fait pour se plonger dans la tête d’une personne qui a une addiction ?

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Victor JESTIN. - Alors j’ai triché sur ce plan puisque je suis concerné, donc il m’a suffi de m’observer. Ici, il est question d’addiction au jeu, pas seulement de jeux d’argent qui ont été assez quadrillés en littérature, mais de tous les jeux, qu’il s’agisse du Monopoly, du ping-pong ou des échecs. Je pense que c’est très intéressant le rapport qu’on entretient ou non au jeu. Moi, en l’occurrence, je joue énormément aux échecs et je vois bien quand je passe une journée entière à jouer sur mon ordinateur ou dans un bar avec des gens, que se joue là, pas seulement une partie, mais une fuite, un désir d’abstraction de remplacer le monde et ses règles par un autre, comme un échiquier. Il y a quelque chose de puissant ici mais aussi de dangereux et qui raconte sans doute un certain malaise.

Si Maud avait été une fumeuse compulsive ou une alcoolique, on l’aurait sûrement aidée. Mais le problème au jeu ne lui offre pas la même compréhension…

Oui, ce problème est souvent considéré comme bénin par l’entourage. Quand on joue, a priori, c’est bien. Les enfants jouent, tout le monde joue. Le jeu a une connotation joyeuse, collective, mais qui nous aveugle sur ce qu’il peut raconter profondément. La fin du jeu signe la fin de l’enfance. Si c’est dur donc pour un enfant d’arrêter de jouer, pour Maud ça l’est particulièrement, sauf qu’elle a 30 ans…

Et donc Maud se perd. Quand on est mauvais joueur, c’est-à-dire quand on casse sa raquette ou qu’on balance ses cartes, ce n’est pas une colère ou un orgueil, mais une envie de gagner frustrée qui se joue. Un perdant c’était quelqu’un qui désirait gagner mais qui n’a pas réussi.

La figure du perdant reste la plus magnifique

Victor Jestin

Vos personnages principaux sont souvent des antihéros, j’oserais même dire des perdants. Pour quelle raison ?

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Je pense que dans toute œuvre narrative se pose la question du désir. D’après moi, on peut mieux raconter le désir dans l’échec. Tout comme il me semble qu’on voit bien mieux la lumière dans le noir, pour parler de défaite, la figure du perdant reste la plus magnifique. Après, je pense aussi qu’il est émouvant de voir quelqu’un qui se rate, quelqu’un qui perd, je pense qu’on se reconnaît tous là-dedans.

L’essentiel est-il de participer ou de gagner ?

De participer ! Non je plaisante, je n’ai jamais cru à ce dicton. Je remarque que gagner ne me fait pas grand-chose. Pour moi, gagner, c’est surtout le soulagement de ne pas perdre. C’est la défaite qui m’affecte. Pour moi, gagner, finalement, c’est une façon de différer la défaite et l’abattement que ça comporte.

La Mauvaise joueuse, de Victor Jestin, Flammarion, 148 p., 18 €. Flammarion