La crise gouvernementale se poursuit et ce n’est pas sans impact sur le camembert de Normandie. Depuis un an, les promoteurs du plus célèbre fromage français attendent la ratification de la demande d’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco du claquos. Du vrai calandos, au lait cru et à l’appellation contrôlée, attention ! Pas de celui qui inonde les supermarchés en usurpant son nom. En 2024, la Confrérie des chevaliers du camembert, sise à Vimoutiers, dans l’Orne, a déposé une demande d’inscription de ce fromage au sein de la liste très prisée des savoirs et pratiques artisanales reconnus par l’institution onusienne. Mais la demande reste coincée sur le bureau du ministre de la Culture. « Tant qu’il n’y a pas de ministre, elle ne peut pas être signée », plaisante Dominique Vignot, présidente et grand maître de la confrérie.
Ce document, inventaire patrimonial des savoir-faire conçu sur le terrain pendant plus de quatre ans par des « spécialistes de la sociologie ou de l’ethnographie », doit faire « reconnaître le véritable camembert de Normandie », explique la passionnée. Caractérisé par sa pâte molle légèrement salée et sa croûte fleurie, le camembert est produit dans le « pays des Hommes du Nord » depuis la fin du XVIIIe siècle d’après la légende. Labellisé AOC « camembert de Normandie » en France et AOP dans l’ensemble des pays de l’Union européenne depuis 1982, il est actuellement fabriqué par 461 producteurs dans treize ateliers normands, selon le ministère de l’Agriculture.
« Ce n’est pas n’importe quel produit ! On parle du camembert, s’emballe Dominique Vignot. C’est un emblème de la France, pas facile à faire, donc il nous paraît logique de faire cette demande auprès de l’Unesco. » Si la démarche aboutit, le fromage, dont les Français ont consommé 6 000 tonnes au lait cru en 2020, deviendrait le premier produit du genre à intégrer la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Il rejoindrait d’autres denrées mondialement connues comme la pizza napolitaine, le couscous maghrébin ou encore le kimchi coréen. « Ce serait tout à fait logique, le camembert est l’un des savoir-faire français les plus connus dans le monde », plaide la présidente de la Confrérie qui compte plus de 1000 adhérents.
Inscription purement symbolique
Elle juge toutefois primordial que son nom soit « ramené à ses racines normandes ». « Le mot “camembert” n’est pas protégé, ce qui veut dire que n’importe quel fromage dans le monde peut s’approprier son appellation, alerte Dominique Vignot. Pourtant, ces produits ne sont pas fabriqués avec notre savoir-faire historique et spécifique. » C’est ainsi que des États-Unis au Japon, les étals se couvrent de « camemberts » produits localement ou exportés par la France sans qu’ils répondent aux normes de l’AOC. Au grand dam des vrais amateurs. Une potentielle inscription dans les catalogues de l’Unesco ne viendrait pas changer grand-chose d’un point de vue juridique. Selon le site de l’institution onusienne, fondée en 1945, le Patrimoine culturel immatériel - dit PCI - n’accorde aucun droit exclusif, ni aucune protection comparable à une marque ou un brevet. Elle « préserve, transmet et promeut les pratiques culturelles » et n’a pas pour but de les « exploiter commercialement ».
La visée serait donc symbolique. « Notre volonté est purement institutionnelle et patrimoniale, assure Dominique Vignot. C’est pourquoi ce ne sont pas les producteurs qui portent cette revendication, mais bien la Confrérie. Si cette reconnaissance fait augmenter les ventes, tant mieux, mais ce n’est pas ce que nous recherchons en tant qu’association. » Avec cette distinction, le camembert de Normandie pourrait faire valoir son « histoire extrêmement riche, sa culture, son côté produit du terroir », espère-t-elle. À savoir que tout ce qui tourne autour de ce fromage d’exception française tend à être inscrit à la liste de l’Unesco, du goût, à la boîte, en passant par l’étiquetage et la confection. Selon Mme Vignot, la « décision finale ne devrait pas tarder ». Mais pour cela, il faudra attendre un retour à l’ordre dans la politique française, ce qui n’est pas gagné.