Effort de 40 milliards pour le budget 2026 : "Je ne vois pas comment on va échapper à des hausses d'impôts", selon l'ancien rapporteur de la Cour des comptes François Ecalle
François Bayrou a présidé dans la matinée du mardi 15 avril une conférence sur les finances publiques. Il a dressé un sombre "diagnostic", tentant de prendre l'opinion publique à témoin et de sensibiliser les Français sur l'état des finances du pays, "au bord du surendettement".
En 2026, la France va devoir faire 40 à 50 milliards d'euros d'économies supplémentaires pour faire passer le déficit sous la barre des 5% du PIB et rassurer les créanciers de la dette. François Bayrou promet de présenter sa copie budgétaire rapidement, avant le 14 juillet.
Pour François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes et président de Fipéco, association d'information sur les finances publiques, "on n'y arrivera pas" et ces 40 milliards d'euros, ça ne sera de toute façon "pas suffisant".
franceinfo : François Bayrou alerte sur le "piège" de la dette, qui menace "la survie de notre pays". On en est là selon vous ?
François Ecalle : Quand j'étais à la Cour des comptes, il y a 15 ans, je disais toujours : "Ne dites pas qu'on est au bord du gouffre ou au pied du mur. On sait qu'il y a un mur devant, mais on ne sait pas à quelle distance il se trouve." Alors la "survie" aussi, c'est un peu dans le même registre lexical, c'est peut-être un peu exagéré quand même.
Donc on ne va pas encore droit dans le mur ?
On sait qu'il y a un mur parce que la dette publique augmente et qu'un jour nos créanciers finiront par s'inquiéter, par augmenter les taux d'intérêt. Et à ce moment-là, il peut y avoir tout d'un coup une crise très rapide, et tout va dépendre de ce que la Banque centrale européenne fera. Donc on ne met peut-être pas notre survie, mais notre souveraineté, entre les mains de décisions qui seront prises à Francfort.
Qu'est-ce qu'il faut surveiller le plus ? Le montant de la dette, 3 300 milliards d'euros, ou la charge de la dette, 58 milliards à peu près ?
C'est la dette elle-même, parce qu'elle augmente depuis très, très longtemps et sur une tendance à la hausse. Il faut quand même aussi regarder, non pas la charge d'intérêts, mais des économistes vous le diront, la différence entre le taux d'intérêt de la dette et le taux de croissance de l'activité économique.
"Jusqu'à il y a pas si longtemps, le taux d'intérêt de la dette était inférieur au taux de croissance. Mais maintenant ça risque d'être l'inverse."
François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes et président de Fipécoà franceinfo
Qu'est ce qui va se passer alors ?
Si on n'arrive pas à dégager un équilibre "primaire", c'est-à-dire hors charge d'intérêt, la dette publique augmente toute seule et elle peut exploser. C'est mathématique. Et à ce moment-là, c'est sûr que les créanciers se mettent à avoir peur. On n'en est pas encore là, mais ça peut arriver.
Le gouvernement veut trouver 40 milliards d'euros d'efforts, pour passer le déficit à 4,6% du PIB en 2026 et arriver à 3% en 2029. Avec une ligne rouge : pas d'augmentation d'impôts. Est-ce que c'est possible ?
Il faut d'abord voir que ça ne sera même pas suffisant. L'effort nécessaire pour stabiliser la dette à son niveau actuel - en pourcentage du produit intérieur brut, même pas en euros - est de l'ordre de 120 milliards. Donc il ne s'agit évidemment pas de le faire sur un an. Normalement, on devrait déjà faire à peu près 25-30 milliards cette année. Mais même si on fait encore 40 milliards l'année prochaine, ça ne sera pas fini. Alors ça va être très difficile.
"Stabiliser la dette, des pays l'ont fait. Les Suédois l'ont fait. Mais dans le contexte politique, culturel, social français, je pense qu'on n'y arrivera pas."
François Ecalleà franceinfo
Et donc, en effet, la question des hausses d'impôts va se poser et il faudra certainement passer en partie par des hausses d'impôts, oui.
Donc ce ne sera pas possible a priori d'échapper à des hausses d'impôts.
Je ne vois pas comment on va y échapper. Je préférerais que l'essentiel de l'effort soit fait par des économies sur les dépenses - c'est possible, d'autres l'ont fait, on peut trouver des économies - mais je crains qu'on n'y arrive pas et qu'on se résigne à augmenter les impôts.
Pourtant, ce gouvernement veut passer par des réductions de dépenses, de l'État, du social, des collectivités aussi. Sur quels boutons faut-il appuyer, tous ?
Étant donné que l'effort est quand même considérable, il faut appuyer sur les postes de dépenses les plus importants. Le quart des dépenses publiques, ce sont les retraites. Un cinquième des dépenses publiques, ce sont les dépenses des collectivités locales. Un autre cinquième, c'est l'assurance maladie. Et disons à peu près 12% des dépenses, ce sont les dépenses de fonctionnement de l'État et de ses agences. Voilà les grands postes.
Ce sont des dossiers très sensibles, voire inflammables. Quel est votre regard sur le débat autour de l'âge de départ à la retraite ?
Je pense qu'une des meilleures méthodes pour réduire le déficit public, c'est de faire en sorte qu'on recule l'âge de départ effectif à la retraite. Parce que ça conduit à avoir plus d'actifs. Donc en fait, à moyen terme, plus d'emplois, plus d'activité économique et plus de recettes. Ce n'est pas populaire du tout. Mais économiquement, c'est quand même la meilleure solution.
Eric Lombard, le ministre de l'Économie, a dit qu'il voulait "rétablir la confiance dans la parole budgétaire de l'État, en renforçant la transparence des prévisions macroéconomiques du gouvernement". Ça vous fait sourire ?
Oui, comme je raconte dans mes mémoires, il y a 30 ans, c'est moi qui faisais les prévisions de finances publiques au ministère des Finances. Et on avait deux jeux de prévisions. Il y avait les prévisions officielles et puis on avait des prévisions internes, les nôtres, les vrais, qui étaient évidemment beaucoup plus pessimistes. Et les prévisions officielles, à moyen terme, n'ont jamais été respectées. Parce qu'aucun gouvernement n'a expliqué comment il allait faire et ça, c'était il y a 30 ans. Donc c'est bien la transparence, mais j'attends de voir.
Les gouvernements sont trop optimistes sur leur capacité à réduire le déficit, depuis des années et des années ?
"Tous les ministres des Finances sont parfaitement conscients d'annoncer des programmes à moyen terme de finances publiques qu'ils arriveront pas à mettre en œuvre."
François Ecalleà franceinfo
Mais ils sont un peu obligés de le faire vis-à-vis de nos partenaires européens, parce qu'il y a des règles budgétaires européennes qu'on est supposé respecter. On ne les respecte pas, mais on fait semblant de les respecter. Au moins jusqu'à ces dernières années, ça rassurait quand même nos créanciers. Le problème, c'est qu'ils vont finir par ne plus y croire.
Est-ce que c'est possible de tenir l'objectif de passer à 3% en 2029 ?
Moi, je n'y crois pas, dans le contexte politique et culturel. Déjà les 40 milliards d'économie, on n'y arrivera pas étant donné la composition de l'Assemblée nationale. Je ne vois pas comment on peut trouver un minimum de consensus et faire voter l'Assemblée sur 40 milliards d'économies. Donc la dette va continuer à augmenter. Je pense qu'elle atteindra 130% du PIB et au-delà, avant 2030. Et ça va continuer jusqu'au jour où il y aura un pépin sur les marchés.
Vous pensez que ça va continuer ainsi, jusqu'à ce qu'il y ait vraiment un problème ?
Ah oui, j'en suis de plus en plus convaincu.
Et l'objectif d'un déficit cette année à 5,4% ?
Ça va être très difficile, ce n'est pas impossible. La principale menace, c'est que l'activité ne soit pas au rendez-vous. Ça repose pour le moment sur une hypothèse de croissance de 0,9%, qui va sans doute être abaissée à 0,7% et qui pourrait être abaissée encore plus. Ça, ça dépend beaucoup de l'environnement international, de ce que Monsieur Trump va faire en matière de droits de douane. Mais si l'environnement est pire, je crains qu'on n'y arrive pas.
François Ecalle publie, mercredi 16 avril, Mécomptes publics - Conception et contrôle des politiques publiques depuis 1980, chez Odile Jacob.