«De Notre-Dame à Ajaccio, notre pays vient de prouver au monde que la ferveur française, loin d’être enfouie, est sacrément vivante»
Arnaud Bouthéon est essayiste. Il a publié Comme un athlète de Dieu, manifeste sportif et chrétien (2017, Salvator).
Sidérante de beauté, la cathédrale Notre-Dame de Paris, s’offre désormais à l’humanité, à l’issue d’un chantier épique de cinq ans. Comme un clin d’œil, pour la conclusion de l’octave d’action de grâce de la renaissance de Notre-Dame, le Pape François a souhaité honorer la ferveur populaire Corse, dont la joyeuse turbulence pourrait trancher avec le protocole froid des puissants de ce monde réunis dans l’écrin parisien. Loin de s’opposer, ces deux évènements s’éclairent mutuellement et trois petites leçons peuvent s’en extraire.
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La première leçon est celle de l’identité. Il se pourrait que ce mot qui était devenu si abrasif et vous rendait complice des pires extrémismes, puisse désormais retrouver quelque honorabilité. Le succès populaire et patriotique des jeux olympiques avait initié cette réhabilitation. En effet, la liesse sportive repose sur la rencontre des identités assumées de champions et de supporters, unis derrière un drapeau, des repères et des rêves. Alors lorsque le cardinal corse, avec son accent de Navarre, évoque que «l’identité est une bénédiction», il produit un triple effet : il console des millions d’anonymes un peu perdus dans un monde en fractures et confrontations ; il rejoint ceux qui se sentent coupables de ne vouloir assister à leur disparition programmée ; enfin, il conforte ceux qui pensent que l’identité locale n’est pas une lèpre mais une forme de communion, de sécurité et de pérennité. Dans cet élan, à coup sûr, la prochaine et heureuse panthéonisation de l’historien Marc Bloch viendra affermir cette prise de conscience collective. Il y a dix ans, un ami américain, me disait : «en France, vous êtes tellement près d’une réalité spirituelle et culturelle si puissante que vous ne la voyez plus». Aussi, pouvons-nous espérer que la résurrection de Notre-Dame, conjuguée à la célébration de la piété corse agiront de concert tel un choc salutaire de réanimation pour des millions de Français aveugles, assoupis ou anesthésiés.
La résurrection de la cathédrale et la célébration de la ferveur culturelle et spirituelle de la Corse, ouvrent des voies pour un renouveau culturel et spirituel pour notre pays.
Arnaud Bouthéon
La seconde leçon est celle de la transmission et plus précisément de la volonté de transmettre notre identité réappropriée. Sur le chantier de la cathédrale calcinée, le leadership présidentiel a imposé une organisation et une loi d’exception au service d’un engagement public et personnel. Les talents nationaux se sont librement assemblés pour servir la beauté du monument et au-delà, honorer un patrimoine reçu et destiné, très simplement, à être restitué à l’humanité. Les témoignages des compagnons, ces corps intermédiaires de confrères similaires à ceux des cantiques et des processions corses, évoquent ces vertus d’humilité, d’endurance et d’excellence pour servir une réalité dont ils confessaient tous la supériorité. Ils servaient pour transmettre et n’étaient que les artisans anonymes d’un savoir-faire et d’un savoir-être exemplaires, qui pourrait trancher avec celui de créateurs vedettes, revendiquant de vouloir «pousser les lignes», en charriant quelques inutiles malentendus. C’est toute la distinction entre la séduction et l’éducation : se-ducere qui prédate autour de l’égo et e-ducere qui conduit librement «hors de», avec désintérêt. Ces millions de gestes convoqués par la générosité de mécènes inspirés, permettent aux visiteurs d’être désormais saisis par la «grande bellezza», cette ineffable beauté.
Enfin, l’ultime leçon de la séquence est celle de l’ouverture et de l’attraction. La résurrection de la cathédrale et la célébration de la ferveur culturelle et spirituelle de la Corse, ouvrent des voies pour un renouveau culturel et spirituel pour notre pays. «Ce qui ne se régénère pas dégénère», disait Edgar Morin. Les deux messages du Pontife à Notre-Dame sont explicites. Le premier porte sur la destination universelle de ce bien qu’est la cathédrale Notre-Dame la bien-nommée, «refuge des pêcheurs, consolatrice des affligés» afin que cet écrin puisse gratuitement accueillir les peuples du monde entier. Le second message est le souhait d’un renouveau pour l’Église de France. L’évangélisation d’un pays se déploie toujours par un triple chemin : celui d’un chemin de bonté par des œuvres de miséricorde et de consolation, celui d’un chemin de beauté, par la célébration d’une culture qui émeut et rassemble ; celui d’un chemin de vérité, par la convocation intime de la foi et de la raison pour tenter d’approcher ce mystère du cœur de l’homme.
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En 2005, en visitant la grande arche de la Défense, l’essayiste américain George Weigel, remarquait que le manuel touristique vantait la taille monumentale d’un édifice qui permettait de contenir et d’enchâsser la cathédrale Notre-Dame de Paris. De cette observation est né un petit livre, Le cube et la cathédrale, singulière méditation sur l’évolution de nos sociétés occidentales dans leur rapport au religieux, autour de cette opposition entre ce cube, symbole de l’humanisme athée, et la cathédrale, manifestation de l’humanisme chrétien. En évoquant en Corse, une laïcité ouverte reposant sur l’expression publique de la religiosité populaire, le Pape François envoie une carte postale vers le continent à destination des derniers laïcistes promoteurs d’un humanisme athée. Sous couvert des meilleurs sentiments, ils auront depuis cinquante années, doucereusement orchestré la diffusion de cette «culture du déchet» dénoncée par le Pontife – et dont les séquelles, amplifiées depuis la crise du Covid, ne sont que solitude, violence, addictions, désolation morale et crise existentielle. Inutile rempart face à l’Islam, l’humaniste athée en est bien malgré lui le promoteur, dans son incapacité de répondre à la soif de grandeur et de transcendance. Face à la quête d’identité religieuse, une réaffiliation chrétienne se confirme sur les parvis des églises, de façon bienvenue et exigeante.
En quelques mois, notre pays vient de prouver au monde entier que cette ferveur française n’est pas encore enfouie : mieux, elle est sacrément vivante.
Arnaud Bouthéon
Dans ce contexte inédit, une certaine responsabilité échoit désormais à l’Église catholique. Les clercs et les laïcs sont unis face à ce défi : aimer et servir le monde afin d’y «intercaler le christianisme», pour reprendre la belle expression de Péguy. Les besoins de formation et d’accompagnement fraternels sont exprimés ici et là, de façon unanime. L’Évangile ne se diffuse guère par prosélytisme ou propagande mais par attraction. Les repères de notre héritage chrétien sont désormais ardemment recherchés, en particulier par les jeunes générations. Les rapports de force très humains apprennent que lorsque cela tangue, on «s’appuie sur ce qui résiste» pour reprendre l’expression d’Andrieux à Bonaparte. Face à cette attente, le risque catholique est triple : celui de la dilution complice et démagogue ; celui d’un pieux gardiennage d’une identité magnifiée mais figée dans son passé ; enfin, celui du confort de l’enclos pour se compter et se contempler.
La fête de Noël vient célébrer le mystère de l’incarnation d’un Dieu créateur qui choisit de se faire homme, pour rejoindre notre misère et diviniser notre humanité. En retour, des hommes se sont employés à rendre gloire à ce créateur, par la mobilisation de leur talent et de leur génie. C’est animé par cette ferveur que les bâtisseurs de cathédrales ont offert à l’humanité ces écrins de bonté, de beauté et de vérité. En quelques mois, notre pays vient de prouver au monde entier que cette ferveur française n’est pas encore enfouie : mieux, elle est sacrément vivante.