La première collection de Matthieu Blazy, la réorganisation de la maison, le rôle d’un directeur artistique et le contexte économique… Quelques heures avant le premier défilé de son nouveau directeur artistique, Bruno Pavlovsky levait le voile sur la nouvelle ère Chanel.
LE FIGARO. - Ce défilé n’est que le premier d’une longue succession de collections, mais que dit-il déjà de cette nouvelle ère Chanel ?
Passer la publicitéBruno PAVLOVSKY - Je trouve très intéressante la lecture que fait Matthieu de la maison et de Mademoiselle Chanel. On est toujours chez Chanel, mais un Chanel un peu différent. Il cultive cette même approche pour les matières qui forment notre socle, mais qu’il twiste afin de créer cette allure inédite. Cette première collection contient en elle de nombreuses pistes que Matthieu a déjà imaginé creuser pour les prochaines saisons. Ces dernières années, nous avons eu tendance à nous enfermer dans certains codes, l’objectif de ce premier défilé était de redonner de la puissance aux fondamentaux de la marque, une nouvelle dimension créative.
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Qu’est-ce que l’arrivée de Matthieu Blazy a changé dans l’organisation de la maison ?
Il nous a vraiment ouvert les yeux sur la nécessité d’anticiper et de planifier. Nous vivions encore dans le système de Karl Lagerfeld où nous enchaînions les collections sans parfois avoir eu le temps de réfléchir à l’industrialisation des pièces qui défilaient. Matthieu commence ses recherches et imagine ses silhouettes bien plus en avance, et il est en mesure de donner assez tôt les directions au studio et aux ateliers. Ces six derniers mois, nous avons mis en place une nouvelle organisation afin que nos équipes et nos fabricants travaillent plus en amont, et nous en récoltons déjà les fruits : dans la foulée du défilé prêt-à-porter, Matthieu a terminé la collection Coco Beach ; la collection des Métiers d’art, qui défile début décembre, est déjà très avancée; la haute couture de janvier prochain est lancée et on commence même à parler du prochain prêt-à-porter de mars. C’est une nouvelle façon de travailler, qui nous donne plus de flexibilité et d’efficacité dans la livraison des produits en boutique. C’est la meilleure garantie pour Chanel de continuer à être leader sur le marché et ce qui va permettre à la marque de rayonner les vingt prochaines années
Pensez-vous que ce renouveau créatif à la tête de nombreuses maisons permettra à l’industrie du luxe de sortir de la crise actuelle ?
Malheureusement, je doute que ce soit suffisant. Certes, pour des maisons comme Chanel, «l’étincelle» que crée un directeur artistique est fondamentale pour positionner l’image. Mais pour être capable de réaliser plusieurs milliards de chiffre d’affaires, il faut des organisations extrêmement solides capables de maximiser cette impulsion créative. La fabrication, les livraisons, ou encore, la gestion des boutiques sont des sujets à part entière. Le rôle d’un directeur artistique a un début et une fin, le DA omnipotent n’est pas, à mon sens, une bonne idée pour les marques. Quant au contexte économique, Chanel a connu une année 2025 meilleure que ce qu’annonçaient les prévisions et nous avons d’ailleurs renoué avec la croissance. Le ralentissement du secteur est surtout lié au marché chinois. Certains ont parlé d’une lassitude des consommateurs vis-à-vis du luxe. Je crois surtout que les gens viennent moins dans les boutiques parce qu’ils ont moins d’argent en raison de la situation économique de leur pays ou parce que leur monnaie devient plus faible. Ceci dit, il est vrai que le secteur, qui a vécu post-Covid trois années de très forte croissance, a parfois manqué d’exigence dans la proposition créative et dans l’exécution. On peut claironner que tout va bien partout, on peut ouvrir des boutiques et des pop-up stores dans tous les sens, mais si on se repose sur ses lauriers et qu’on devient banal, qu’on ne fait pas assez rêver, les clients se lassent. J’espère que cette nouvelle génération à laquelle appartient Matthieu va permettre de repenser tout cela.