TÉMOIGNAGE. Entre joie des retrouvailles et choc devant l'état du pays, le difficile retour en Syrie d'un réfugié, 14 ans après avoir fui la guerre

Une conférence internationale sur la Syrie commence jeudi 13 février à Paris, en présence de plusieurs officiels internationaux dont le ministre des Affaires étrangères des autorités de transition syriennes, Assaad Hassan el-Chibani. Objectif : faire le point sur les principaux défis qui attendent la Syrie, après la chute de Bachar al-Assad et les besoins des autorités de transition pour stabiliser le pays, mais aussi accompagner le redémarrage de l'économie locale.

Cela fait désormais deux mois que Bachar al-Assad et son régime ont été renversés par les rebelles islamistes de HTS. Depuis quelques semaines, certains des 45 000 réfugiés syriens installés en France retournent donc pour la première fois chez eux, 14 ans après le début de la guerre civile. franceinfo a pu s'entretenir avec l'un d'eux, Zeid, installé dans le Vaucluse.

Parti à 27 ans... de retour à 43 ans

Zéid a 27 ans quand il part pour la première fois de son pays, un matin d'octobre 2010, deux petits mois avant le début du conflit. Cet étudiant rêve alors de passer son doctorat de géographie et de rentrer chez lui pour travailler dans le tourisme. À l’époque, il ne le sait pas encore, mais il ne reverra pas sa famille pendant 14 ans.

C'est finalement mardi 11 février, à 43 ans et après un périple qui l'a obligé à passer par Beyrouth, qu'il a pu fouler à nouveau son sol natal. franceinfo a pu le joindre par téléphone. Il raconte un retour en Syrie dont il se souviendra à vie.

"Vingt minutes avant l'atterrissage, j'ai eu une remontée d'émotions qui a été très très forte. "

Zeid

à franceinfo

"Ce sont toutes ces années de frustration et de tristesse accumulés qui commençaient à sortir. Ensuite il y a eu l'atterrissage et là tout le monde filmait ou prenait des photos, il y a eu des embrassades", raconte Zeid.

Pour lui, les embrassades surviendront quelques centaines de mètres plus loin. Ses frères et sœurs l'attendent, les larmes aux yeux, les bras tremblants et l'emmènent dans leur appartement, dans la banlieue de Damas, pour retrouver le reste de sa famille. "Il y avait ma mère et là pareil, c'était un moment de liesse, un moment de communion, de joie, beaucoup de pleurs, beaucoup de relâchement. Il y a une tension latente qui était là toutes ces années. C'est là que je me suis rendu compte que je suis redevenu une personne normale, qui peut rentrer chez elle." Un moment d'une intensité rare qu'il aurait aussi aimé partager avec son père, mais ce dernier est décédé il y a 11 ans. À cause de la guerre, Zeid n'a pas pu se rendre à ses obsèques.

Retrouvailles avec un pays dévasté

Outre l'émotion des retrouvailles, Zeid a également vécu le choc, voire la sidération, de retrouver son pays dans une profonde crise. C'est ce qui le fait douter d'un retour à moyen ou long terme en Syrie. Là où il séjourne, chez sa famille, la population n'a droit qu'à quelques heures d'électricité chaque jour, vers midi, parfois vers 19h et puis au milieu de la nuit. Les téléphones n'émettent qu'en 3G, il est donc quasiment impossible pour lui d'utiliser internet sans la wifi. Mais au-delà de ça, Zeid a été frappé par l'appauvrissement de son pays. 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté, à commencer par ses deux sœurs qui travaillent dans la fonction publique.

"Quand je suis parti en 2010, elles touchaient un salaire qui était l'équivalent de 400 euros, alors que le salaire minimum à l'époque était de 150 euros. Aujourd'hui, mes deux sœurs qui sont toujours fonctionnaires touchent chaque mois 10 à 15 euros."

Zeid

à franceinfo

D'après Zeid, "il y a une paupérisation qui est claire et nette. Les enfants et parfois des familles entières font les poubelles, soit pour ramasser des choses à manger, soit pour ramasser des choses à revendre." À la crise économique s'ajoute l'instabilité politique. Zeid se voit mal vivre dans la Syrie actuelle. "La suite des choses n'est pas encore claire, donc pour l'instant non, je n'envisage pas cela. Si les choses se stabilisent et que vraiment les annonces faites par le nouveau gouvernement sont respectées et que l'on va vers un Etat inclusif et démocratique, pourquoi ne pas l'envisager, mais vu les dégâts en place, ça me crève un peu le cœur de le dire, cela va nécessiter des années et des années."

La reconstruction s'annonce aussi très coûteuse. La banque mondiale l'estime à 400 milliards d'euros.