Le lycée musulman lillois Averroès retrouve son contrat avec l’État
Dans le contexte de l’affaire Bétharram et de la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires par l’État mise en place dans son sillage, la décision était attendue. Ce 23 avril, le tribunal administratif a décidé de rétablir le contrat du lycée musulman lillois Averroès, jugeant «que la condition tenant à l’existence de manquements graves au droit n’était pas remplie» et «que la procédure suivie était entachée d’irrégularités». Dès la rentrée prochaine, le salaire de ses enseignants sera donc à nouveau pris en charge par l’État et les collectivités locales devront s’acquitter de subventions. À commencer par Xavier Bertrand, patron LR des Hauts-de-France qui, depuis 2020, était dans un bras de fer avec le lycée musulman à qui il reprochait d’avoir reçu des fonds d’une fondation qatarienne en 2014.
Pour le monde de l’enseignement privé musulman, qui dénonçait un «acharnement » après la résiliation du contrat avec le lycée Averroès en décembre 2023, suivie en janvier 2025 de celle du groupe scolaire Al Kindi à Lyon, c’est une victoire. Dans le monde politique, c’est tout un symbole. Cette décision vient donner des gages au député LFI Paul Vannier, auteur en avril 2024 d’un rapport sur l’enseignement privé sous contrat, qui avait étrillé les établissements catholiques. Corapporteur de la commission d’enquête parlementaire mise en place en mars avec l’affaire Bétharram, Paul Vannier a plusieurs fois qualifié de «deux poids deux mesures absolument choquant» le traitement par l’État du lycée Averroès et de l’établissement catholique parisien Stanislas.
Cours d’éthique musulmane
Sur quoi repose la décision du tribunal administratif de Lille ? En 2024, à deux reprises, la justice avait confirmé la suspension du contrat en référé, mais la décision de ce 23 avril est la première sur le fond du dossier, après les recours successifs déposés par le lycée. Elle est conforme à la préconisation du rapporteur public, magistrat chargé d’éclairer les juridictions administratives, lors de l’audience du 18 mars. Ce jour-là, pendant plus d’une heure, le rapporteur public avait contesté point par point la plupart des griefs avancés par la préfecture du Nord qui, en décembre 2023, avait mis fin au contrat du lycée Averroès. S’il avait reconnu que des manquements existaient, il soulignait qu’ils ne justifiaient pas une résiliation. «Aucun élément probant» n’a démontré l’utilisation d’ouvrages contraires aux valeurs de la République, avait-il notamment assuré. Entre autres arguments justifiant sa décision de résiliation du 7 décembre 2023, Georges-François Leclerc, alors préfet du Nord, mentionnait, dans la bibliographie d’un cours d’éthique musulmane, un recueil de textes religieux contenant des commentaires prônant la peine de mort en cas d’apostasie ainsi que la ségrégation des sexes.
Entendu le 9 avril par la commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires par l’État, Georges-François Leclerc, aujourd’hui préfet des Bouches-du-Rhône, a réaffirmé qu’il disposait alors d’éléments «suffisamment tangibles pour considérer que les élèves étaient en danger» au sein d’Averroès. «Des éléments documentaires» et «certains enseignements (...) relevaient clairement du salafo-frérisme», a-t-il assuré, en référence à l’idéologie politico-religieuse née du mouvement égyptien des Frères musulmans.
Dans un rapport accablant de douze pages daté d’octobre 2023, le préfet faisait état de financements illicites par des structures « liées à la mouvance frériste », de dérives islamistes et de complotisme. Il s’appuyait sur des rapports de l’éducation nationale de 2021 et 2023 globalement favorables au lycée, mais mentionnant le scepticisme des élèves à l’égard de la théorie de l’évolution ou encore le fait que les filles et les garçons ne se mélangent pas en classe et que la salle de musique ne dispose pas d’instruments. Il rappelait surtout les constats, en juin 2023, de la chambre régionale des comptes sur un cours d’éthique musulmane, faisant la promotion d’un islam salafiste et mentionnait l’ouvrage Quarante hadiths de l’imam An-Nawawi, édictant des règles telles que l’interdiction pour une femme malade de se faire ausculter par un homme, le non-mélange des hommes et des femmes sur le lieu de travail ou encore l’apostasie prohibée sous peine de mort.
Ce recueil, «on ne l’a jamais eu entre les mains, il n’a jamais été au CDI», affirme de son côté Éric Dufour, le directeur du groupe scolaire Averroès. «Je n’en veux pas à l’enseignement privé catholique (...) mais quand on voit toutes les affaires qui sont sorties et quand j’entends dire encore une fois par le préfet que les enfants sont en danger à Averroès, je suis désolé, les enfants sont en sécurité chez moi», explique encore Éric Dufour auprès de l’AFP.
Avec la résiliation du contrat, le lycée Averroès avait fait une croix, depuis la rentrée 2024, sur 1,6 million d’euros. Il avait doublé ses frais de scolarité (soit 3 000 euros l’année). Le nombre de ses élèves était alors tombé de 470 à 290. Le retour annoncé des financements publics est une aubaine.