L’œil de l’INA : Maritie et Gilbert Carpentier, les amoureux de la télé


Dans l’histoire des médias, ils demeurent un couple mythique, et pas seulement le jour de la Saint- Valentin. Maritie et Gilbert Carpentier ont eu deux amours, la radio et la télévision. Leurs Numéro un, nés voici 50 ans, considérés comme des classiques, ne sont pas leurs seuls succès à leur actif, loin de là. Les ondes ont été à l’origine de leur vocation et le petit écran de leur explosion. Discrets à la ville, préférant l’ombre des régies aux projecteurs des plateaux, ils se sont rarement confiés devant les caméras. INA Madelen vous propose de découvrir un entretien presque unique, accordé à Jean Bertho.

Gilbert a des antécédents familiaux célèbres : il est le petit-fils de Jules Carpentier, créateur avec les frères Lumière de la première caméra de cinéma . Sa vocation est de devenir chef d’orchestre. Au lendemain de la guerre, après des études au Conservatoire de musique de Paris, il entre à Radio Luxembourg au bas de l’échelle, comme planton. Il monte rapidement en grade, devient technicien . Il réalise aussi quelques illustrations musicales et accompagne au piano un rendez-vous très écouté à 7 heures, La leçon matinale de Culture Physique.

C’est dans les couloirs de la rue Bayard qu’il fait la connaissance d’une jeune femme qui , forte d’une licence d’anglais, a décidé de devenir journaliste. Elle se prénomme Maritie. Grâce à l’un des dirigeants de la station, Gilbert Cesbron, également romancier à succès, elle a été engagée comme chroniqueuse dans une émission diffusée chaque jour à 17 heures, Le passe-temps des dames et des demoiselles. Très vite, Gilbert et Maritie deviennent inséparables. Leur passion commune des artistes les conduit à proposer une idée d’émission dont Henri Salvador, roi de la bonne humeur , serait l’animateur. Le projet devient réalité et, quelque temps plus tard, on leur confie les rênes de ce que l’on n’appelle pas encore un divertissement, diffusé en direct et en public le mercredi soir, intitulé Cavalcade .

L’animation est assurée par un duo en pleine ascension qu’ils ont côtoyé rue Bayard à leurs débuts , Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. C’est aussi avec eux qu’ils signent en 1961, La Grande Farandole leur première production à la télévision, encore en noir et blanc. Les dirigeants de ce qui est encore la RTF leur ont proposé un défi aussitôt relevé La grande farandole  va durer six ans .

Entre-temps, au retour d’un voyage aux États-Unis, le couple décide d’adapter une formule qui, outre-Atlantique, connaît un immense succès : une soirée dont l’animateur est un chanteur. Une série de numéros inédits sont réalisés avec une bande d’amis. Ils proposent à Sacha Distel de tenir ce rôle . Il vient de triompher avec Des pommes , des poires et des scoubidous et ses aventures sentimentales, en particulier avec Brigitte Bardot, ont fait grimper les ventes d’hebdomadaires que l’on n’appelle pas encore people. Après un moment d’hésitation, il accepte, à condition que l’expérience soit unique. Il est musicien, chanteur et craint qu’elle nuise à son image si elle se prolonge. Il va rapidement changer d’avis. Le succès de Guitare et copains est tel qu’il gagne encore en popularité. L’aventure va se poursuivre pendant plus d’une décennie, sous le titre Sacha Show, à raison de trois à quatre émissions par an. En même temps , les Carpentier font rire la France entière avec Les grands enfants. L’idée est née un soir, après un dîner entre amis, en jouant aux Ambassadeurs dont le principe est de mimer un film pour en faire deviner le titre aux autres convives. Jean Yanne, Jacques Martin, Maurice Biraud, Roger Pierre, Jean-Marc Thibault et Francis Blanche vont se livrer à des improvisations mémorables dont Sophie Desmarets, désignée comme tête de turc, va devenir la victime . 

L’audience est telle que Pierre Sabbagh, directeur de la deuxième chaîne, leur confie les clefs du studio 17 des Buttes-Chaumont et un budget conséquent pour produire de grandes émissions populaires, destinées à être diffusées en direct le samedi soir. C’est ainsi que naissent, entre autres, Deux sur la deux, A la manière deux, et Les Z’heureux rois Z’Henri, présentés par Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. L’audience passe régulièrement le cap des 10 millions de téléspectateurs. L’impossible rêve des dirigeants d’aujourd’hui ! En 1972, ils décident de consacrer chaque samedi soir à une seule tête d’affiche. Ils inventent Top à qui va devenir Numéro Un lorsque en 1974, le couple quitte la deuxième chaîne, en pleines turbulences pour cause de grèves, et passe sur la première.

Johnny, Sheila, Sardou...


Le début d’un septennat de légende avec une mécanique parfaitement réglée, depuis le démontage du décor en début de semaine jusqu’au direct, le samedi à 20 heures 30. Chaque lundi, l’équipe et un futur invité prestigieux , de Johnny à Sheila en passant par Gainbourg et tant d’autres, se réunissent dans le salon de l’appartement des Carpentier, au dernier étage d’un immeuble, 34 rue Guynemer, en face du Jardin du Luxembourg. Le temps d’un goûter, on lance des idées de situations, de sketches et même des défis. Michel Sardou se montre le plus imaginatif en la matière : un jour, il demande à chanter au milieu de vaches et de moutons. Une autre fois, il souhaite une piscine en guise de décor. « Chiche ? », lance-t-il aux Carpentier qui ne manquent jamais de relever le défi et le réussissent. Jean-Jacques Debout est également présent. Il est chargé d’écrire les enchaînements et quelques sketches. Un soir, après un désistement de dernière minute de Brigitte Bardot, il appelle sa femme, Chantal Goya, au secours. En quelques minutes, il compose Adieu les jolis foulards qui va permettre à Chantal de devenir la star des enfants. 
L’aventure se termine en 1981. L’arrivée de la gauche au pouvoir met un terme à 44 émissions par an, diffusées dans une vingtaine de pays. Les Carpentier ne prennent pas pour autant leur retraite. Jusqu’en 1988, ils vont produire entre 6 et 8 rendez-vous par an. Ils font leurs adieux après une soirée autour de Charles Aznavour. Il y interprète, entre autres, « non, je n’ai rien oublié ». Sans imaginer que, 37 ans plus tard, Maritie et Gilbert Carpentier demeureraient présents dans un coin de nos mémoires.