«J’espère qu’elle se tiendra tranquille»: dans les pas de Trinité, une génisse charolaise en route pour le Salon de l’agriculture

Le ciel, bas depuis plusieurs jours, peine à se lever en cette fin janvier sur la campagne bourguignonne de Toulon-sur-Arroux (Saône-et-Loire). Les amateurs de calme apprécient la verdure, les paysages bocagers et la gastronomie de cette petite commune de 600 âmes, à quelques kilomètres de Montceau-les-Mines. Les touristes n’y sont pas insensibles non plus. Mais, à cette période de l’année, ce ne sont pas eux qui créent l’effervescence. Comme tous les ans, c’est chez les éleveurs des célèbres cheptels charolais que l’agitation est palpable. L’heure est aux préparatifs, à quelques semaines de l’incontournable Salon International de l’Agriculture (SIA), qui ouvrira ses portes le samedi 22 février.

Parmi eux, Hervé et Julien Maréchal sont à pied d’œuvre depuis plusieurs mois pour mettre au pas, à bout de corde, Trinité. Beau bébé de près d’une tonne, cette génisse charolaise a été sélectionnée parmi une trentaine de candidates pour participer à la grand-messe annuelle de la Ferme France. Et défiler fièrement sur le ring de présentation des animaux du parc des expositions parisien, avec ses voisines de la vallée de la Loire: Ritournel, Sucrette, Seignorita, Reine des Neiges et Sentinel. «Pour la première année au Salon, nous avons choisi de présenter une génisse de boucherie, car la présentation et la préparation d’un animal reproducteur demandent un boulot énorme», précisent les deux frères.

«Nous venions tous les ans, mais plutôt en tant que touristes», racontent-ils. «J’avais toujours hésité à me lancer car préparer un animal prend du temps, complète Hervé, installé sur la ferme familiale depuis 2003. Il faut lui apprendre à rester calme, à ne pas avoir peur du monde, à accepter la corde et marcher doucement. Cela prend plusieurs semaines, au moment où nous sommes en pleine période de vêlage à la ferme. Mais être éleveur c’est notre métier, et montrer notre savoir-faire, c’est une vraie fierté. J’espère juste que Trinité se tiendra bien calme», sourit-il.

Derniers préparatifs

L’appréhension d’une première participation au SIA n’entame pas la confiance de la fratrie, rompue aux concours et défilés locaux d’animaux. La famille est une habituée du festival du bœuf charolais à Charolles, mais aussi des concours de reproducteurs de la même ville ou de Gueugnon. Les récompenses qui s’affichent fièrement à l’entrée de l’élevage en témoignent.

L’approche du grand rendez-vous parisien contraint les deux frères à accélérer les derniers préparatifs. La gestion des quelque 450 animaux de la ferme des Maréchal pendant l’événement ne s’improvise pas. Si le salarié à mi-temps de cette exploitation de 310 hectares prêtera main-forte, Hervé et Julien se relaieront durant leurs quatre jours de présence dans la capitale, pour veiller sur Trinité, aider les équipes du salon à nettoyer l’emplacement, sa croupe…

Fessier rebondi, épaules et dos larges, muscles apparents, Trinité a déjà eu l’occasion de jouer de ses atouts auprès de potentiels acheteurs, les bouchers ou enseignes de grande distribution, qui aiment à afficher la provenance de leur viande. Surtout quand elle passe par le salon de référence de la Ferme France, qui attire tous les ans plus de 600.000 visiteurs sur dix jours. «On la vendra au moins deux fois le prix d’une génisse de boucherie classique», veut croire Hervé.

Il faut dire que l’événement est une formidable vitrine. Destinées en priorité au grand public, les coulisses de ses sept pavillons se transforment souvent en terrain de négociations. Il y a quelques années, la participation d’un de leurs voisins au Salon avait déjà profité, indirectement, aux deux frères. «Un des clients qu’il avait rencontrés à Paris lui avait demandé des animaux qu’il n’avait pas. Il l’a donc redirigé vers nous», détaille Julien.

Une fierté

Pour savoir si le jeu en valait la chandelle, les deux frères Maréchal devront attendre que se referment les portes du Parc des Expositions parisien. Participer à la grande aventure du Salon représente souvent un budget important pour les membres de filières agricoles dont la faiblesse des revenus en France n’est plus un mystère. «Je partirai le vendredi en train car la veille de l’ouverture, les billets étaient moins chers», explique Hervé.

Si les frères Maréchal ont dégoté un hébergement abordable via une amie parisienne, l’enveloppe pour le transport, l’hébergement et la nourriture pour leurs quelques jours de présence dépasse déjà le millier d’euros. Sans compter le transport de leur génisse d’élite, assuré par leur ami Serge, habitué à organiser le convoi des animaux du coin montant au Salon. Sur ce poste, les frais sont mutualisés avec les autres éleveurs, qui pourront aussi compter sur une participation financière de l’Association Charolais Label Rouge (ACLR).

Flambée des prix

L’exposition de six porte-drapeaux de la race est importante pour l’ensemble de la filière Label Rouge charolaise. «Cette sélection est une fierté, qui permet de mettre en avant le savoir-faire de la filière qui a un peu souffert», explique Emmanuel Pilorge, vice-président de l’ACLR. Et pour cause, passé de 19.000 à 15.000 animaux en moins de trois ans, le cheptel de l’appellation et la situation de ses 4500 éleveurs illustrent les effets de la flambée des prix dans les rayons entre 2022 et 2024. Celle-ci a poussé les consommateurs vers des viandes conventionnelles moins onéreuses, ou vers d’autres protéines animales plus abordables (volailles, œufs....).

Présente sur le stand de la Région Bourgogne Franche-Comté du salon, l’association compte bien reprendre l’avantage pendant le Salon, avec des dégustations de sa viande persillée et de verrine pour toucher le grand public. Au-delà des échanges noués dans la capitale, elle compte aussi sur la poussée des prix de vente en sortie de ferme depuis quelques mois (sous l’effet de la baisse du cheptel et d’une hausse de la demande) pour recruter de nouveaux éleveurs.